Faculté Cotovio (10/2024)

Plus que tout autre, cette exploration revêt un caractère insolite. Je l’ai rêvée, imaginée, redoutée, appréciée et détestée avant même de l’avoir commencée. Le site sélectionné ne m’est pas inconnu, loin de là. Je l’ai fréquenté quelques temps. Les rues adjacentes me sont familières. Très peu de choses ont changé dans ce paysage. Tout en collectant les informations de bases pour préparer la matinée, je me fais la réflexion qu’il est bien étrange d’explorer cette faculté qui fut si vivante et si centrale dans sa discipline. Un peu d’un demi-siècle après être sortie de terre, la voilà déjà obsolète, renvoyée aux oubliettes.

Une fois n’est pas coutume, le réveil sonne alors que le jour n’est pas encore né et c’est avec l’esprit embrumé que j’effectue le trajet. Le brouillard diffuse les couleurs des feux tricolores, les trottoirs sont vides, le monde dort encore.

Une fois la barrière franchie et tout en profitant de l’obscurité, nous approchons de la cafeteria. Nous ne parviendrons pas à y entrer et des images de l’intérieur me reviennent alors en mémoire. Quelques odeurs et sons aussi. Je me souviens d’avoir été fier de découvrir son environnement et ses amis, tout jeune lycéen que j’étais. Faire quelque chose après le Bac me semblait alors comme un futur lointain.

Continuant à chercher un accès, nous longeons les bâtiments discrètement. Les portes sont fermées et je commence à désespérer. Je n’aime pas les échecs, surtout en exploration, tôt le matin alors que les dernières chaleurs de la maison s’évanouissent face au pantalon mouillé de rosée et aux mains qui se refroidissent. Les bâtiments, sombres et gigantesques, se découpent sur la nuit urbaine, toute violette. On dirait un découpage maladroit ou une forme recouverte de Vantanoir (étrange revêtement absorbant 99.96% de la lumière).

Finalement, comme une délivrance, nous parvenons à entrer dans l’ogre de béton. Et tout de suite, cette familière sensation revient. Celle d’être seul dans un lieu vide et silencieux. Tout est alors possible. D’un commun accord, nous entamons presque sans le dire notre traditionnel tour de reconnaissance. Les photos viendront après. Je reconnais tout de suite l’espace que nous arpentons, celui du foyer des étudiants et son petit bar d’appoint, puis juste après cet immense hall. 45 mètres d’un bout à l’autre, sans rien pour interrompre l’espace. C’en est soviétique ! Et tel une gare, de chaque recoin partent des couloirs pour les bâtiments adjacents.

Devant les infinies possibilités, nous partons finalement vers le sud dans un interminable couloir aux innombrables embranchements : bureaux, salles de classes, laboratoires. Seules les paillasses restent, l’ensemble du mobilier est parti à la fermeture vraisemblablement. C’est donc vide mais paradoxalement assez vivant. En effet, quelques affiches, quelques chaises trônent de ci de là. Apercevant un escalier, je m’apprête à le gravir quand je décide d’allumer ma lumière rouge pour mieux y voir. Et les premières marches ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Demi-tour.

Nous revenons sur nos pas et décidons de monter dans les étages supérieurs au hall. Au dernier, des bureaux autour d’un puits de lumière. S’y dégage une ambiance lugubre, tant chaque côté de la pièce se ressemble. Néanmoins, j’y imagine des étudiants venir s’y inscrire, choisir une mutuelle, régler un souci administratif. Seule la signalétique, encore présente, nous rappelle la fonction du lieu.

À l’étage inférieur, la couleur change et un rose saumon semble indiquer une destination différente des espaces. Une plante desséchée retient une porte, une veille enluminure tente d’habiller un mur, mais c’est derrière une porte que se révèle l’incroyable.
Aux proportions purement gigantesques, une pièce, aussi grande que le hall accueillait la bibliothèque. J’ai soudain l’impression d’être perdu dans un réservoir d’eau souterrain. Encore une fois, l’architecture et les proportions sont brutales, soviétiques, dingues. Étrangement, trois panneaux de bois travaillés sont fixés au murs. Ils semblent si insignifiants et tout droit sortis d’une bibliothèque ancienne. Ajout tardif ? Hommage au passé de la discipline ? Bizarre.

Revenus au rez-de-chaussée, nous explorons les amphis plongés dans le noir. Une pose longue s’impose. Et là encore, je l’imagine écouter un cours magistral, discuter parfois avec ses amies, réfléchir à son sujet de thèse. C’était il y a bientôt vingt ans…

Plus à l’aise, moins apeurés, nous revenons sur nos pas, essayons un autre couloir, mais l’ensemble se ressemble. Au détour d’un couloir, je trouve par terre de petite douilles à tête blanche, dans une pièce une grenade bleue puis une cartouche de fusil. Nous n’étions donc pas les premiers. Amateurs ou entraînement des forces de l’ordre ? Je ne saurais pas.

@ Glauque Land

Plus de deux heures se sont déjà écoulées et persuadés d’en avoir vu assez, nous finissons d’explorer les abords du hall. Dans un couloir, des affiches, des autocollants par dizaines ornent les murs. Bureau des étudiants, donc. Des séjours au ski, des soirées, des rencontres… tout cela est proposé au moyen de stickers tous plus étranges les uns que les autres. Pas une seule porte, une seule fenêtre n’est épargnée. Sur un tableau blanc, des numéros de téléphone pour un covoiturage, des photos de moments libres entre les cours… Infimes traces de vies que ne resteront que dans de vieux souvenirs enfouis. La matière s’efface, les pensées restent.

Déjà fatigué, toujours un peu angoissé de croiser le vigile, je fais le choix de repartir. Et tout reprenant notre itinéraire d’accès, je me sens soudain vieux. Oui, quand les lieux que l’on a connus commencent à disparaître ou sont abandonnés, alors c’est que le temps est passé. Si vite et si lentement. Enfin, je suis content d’être venu, d’avoir vu cette faculté une dernière fois. Comme un adieu.

Un peu d'histoire

Il faudra être patient, car je ne peux en dire plus sans rompre l’une des règles essentielle de l’exploration urbaine. Pour la Faculté Cotovio, seul le temps me permettra d’en dévoiler plus.

Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que la Faculté Cotovio sera abandonnée. Respectons-la pour la vie qu’elle accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).