Sanatorium Textures (05/2024)
Pas de sensations vécues, pas de texte fictif mais plutôt une réflexion très personnelle sur l’exploration urbaine que je pratique depuis maintenant trois années pleines. Comme un air de blog à l’ancienne.
Sans dénigrer mes vivants, Lamartine écrivait très justement : « Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ». Et très justement, depuis maintenant une grosse année et demie, tournent en moi beaucoup de pensées sur la transmission, les valeurs, l’héritage, l’absence et ce que l’on en fait quand elle est définitive. Et tout cela influe sur mes explorations.
Il y a trois ans maintenant, quand j’ai commencé à pratiquer l’exploration avec Tim, j’ai pu avoir des comportements et des choix très irresponsables. Si mes souvenirs sont exacts, j’ai ainsi exploré seul trois lieux. Conduite totalement dangereuse face au risque de blessure, de chute ou même de perte. Avoir fourni à mes proches la localisation de mes périples n’aurait sans doute pas changé grand-chose à une issue fatale. Et pourtant, cela semblait me suffire amplement.
Une fois sur place, il y avait bien sûr la peur de l’inconnu et celle de se faire attraper. Mais pas grand-chose d’autre. L’adrénaline agissait comme le petit arbre qui cache la forêt mystérieuse. J’y allais coûte que coûte et advienne que pourra. Le frisson de l’exploration occultait l’hypothétique tragédie. Et avec le recul, ce sentiment d’invincibilité trouve sa source dans un esprit enfantin, du moins adolescent de celui qui se croit immortel tant que ses parents sont vivants. Tant que sa branche de l’arbre familial est pour le moment proche du sol pour une chute allégée.
Bien sûr, explorer me permettait d’ores et déjà d’échapper au quotidien, à la routine et aux blessures que la vie m’avait déjà infligées et celles à venir. Je trouvais dans ces moments et ces lieux de l’entre d’eux, une sorte de pansement temporaire à mes pensées dérivantes. Il est vrai que seul, inactif même pour quelques heures, mon cerveau accélère à toute puissance. Et pour l’arrêter, je dois souvent me montrer endurant et plein de malices.
Couplée à ma passion de l’Histoire et à ce besoin irrépressible de comprendre et d’analyser, l’exploration urbaine est vite devenue une passion dévorante. Au-delà des pérégrinations et de l’esthétique des ruines et du figé, je trouvais plus d’excitation dans la recherche historique du pourquoi de l’abandon. L’histoire des hommes et des femmes ayant vécu dans ces maisons, châteaux et manoirs, ces ouvriers ayant donné leur vie dans ces usines… Telle une quête au trésor ultime ! Mais bientôt entravée par le secret de la localisation. En dire le moins possible pour protéger le lieu exploré. Au risque parfois d’explorer dans le seul but des souvenirs et des impressions
Je me sentais investi d’une quête de défricheur, être le premier, celui qui voit pour la première fois, celui qui raconte… Et pendant deux bonnes années, ce fut un régal. Chercher, voyager, explorer, photographier, rentrer, tirer, retoucher, écrire, publier. J’emmenais ensuite avec moi quelques lecteurs dans ces escapades.
Cependant, depuis une année et demie, mes explorations ont changé de nature. Après le décès de l’homme qui me donna la vie, je n’ai pas eu le temps ni les ressources pour penser, analyser, décortiquer, et réfléchir à ce que son absence signifiait véritablement. Le quotidien, les responsabilités, les loisirs, le travail… Pris dans la vie, je n’ai pas pu penser. En réalité, je crois fonctionner d’une manière assez basique : vivre l’expérience, l’analyser, en tirer une leçon puis continuer à avancer. La somme d’expérience devenant chaque fois plus conséquente et utile, devenant au final un mode d’emploi. Là, aucun moment ne m’a permis de le faire réellement. Comme une blessure ouverte, les bandages stoppaient momentanément l’hémorragie, mais rien ne venait clamper l’artère touchée.
Contaminé par le virus de l’exploration, j’ai besoin de retrouver régulièrement cette bulle calme et sereine des maisons silencieuses, des châteaux décrépis, des usines au toit percé. J’ai donc continué d’explorer. Mais ce fut bien différent désormais.
La phase d’approche, si l’on peut dire ainsi, m’angoisse énormément. Je crains essentiellement d’être repéré et de devoir ensuite affronter propriétaires et forces de l’ordre énervés. Ce qui est tout à fait légitime dans le cadre d’une violation de propriété privée. Alors, je me pare de précautions ridicules et de pensées réconfortantes, comme pour conjurer le sort et calmer un rythme cardiaque qui s’emballe. La phase suivante, celle de la découverte à proprement parler, passe maintenant parfois inaperçue, anecdotique, trop perdu quand je suis dans mes angoisses. Perdu aussi dans ma balance personnelle qui pèse le risque encouru contre la qualité du lieu.
Le repos et le plaisir ne viennent aujourd’hui que tardivement, quand le danger est passé. Alors seulement, je prends plaisir à cadrer, régler et faire mes clichés. Alors seulement, je remarque les détails insolite, fouille dans les archives et les papiers qui traînent. Alors seulement, j’apprécie l’exploration.
Il semble que, confronté pour la première fois à la finalité concrète de mon existence, mon sens de la préservation se soit amplifié. D’autant plus, lors de cette activité foncièrement dangereuse. « Le prochain sur la liste » comme disent certains.
Rien ne m’empêchera de continuer à explorer maisons, châteaux et usines, tant que l’homme continuera à les abandonner. Chaque lieu est différent, chaque découverte est unique. Mais pour le moment, je vais devoir supporter mes appréhensions, apprivoiser mes peurs.
Un peu d'histoire
Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que le Sanatorium Textures sera abandonné. Respectons-le pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).