Soldatenheim (01/2022)

Bien reposés, bien repus et motivés (merci pour cet incroyable accueil G. et C.), Tim et moi roulons dans les plaines embrumées de la région. Pas un chat, pas un automobiliste, seuls quelques courageux partis chercher une baguette à la boulangerie du village… À l’approche de notre destination, tout d’un coup, Tim m’indique une masse sombre courant à travers champs. Un sanglier, galope, seul et loin de toute forêt. Je ralentis et nous profitons de cette apparition surprise.

Sur place, nous garons la voiture dans un renfoncement forestier. Équipés, nous nous approchons du secteur repéré. Mais un grillage, nous bloque le passage. Tim part à gauche, moi à droite. Le premier qui trouve un passage siffle l’autre. Bientôt, la clôture que je longe s’enfonce dans la forêt et je tombe sur une partie défectueuse. Je siffle.
Nous marchons maintenant d’un pas vif pour nous réchauffer et tentons de suivre tant bien que mal la bonne direction. Bientôt, nous sommes en vue d’un bâtiment perdu au milieu des arbres. Mais après inspection rapide, il est en activité et utilisé par la ville voisine. Nous poursuivons notre marche et entrons bientôt dans un second espace clôturé. Mise en abîme. Mais ce second grillage gît au sol quelques mètres plus loin. Rien de bien dissuasif et aucune effraction. Parfait.

Et au travers des arbres, nous apercevons une masse sombre, haute de 2,50 mètres. Un tache rose dénote dans les couleurs naturelles. Un tag sur un mur, bien évidemment… Un tour vite fait du bâtiment, nous confirme qu’il est fermé. La porte principale est entravée par des barres métalliques fixées dans le béton. Dommage, nous aurions bien aimé entrer et découvrir ce qui se chache derrières ses grandes ouvertures à double battant. Avant de repartir vers le prochain bunker (car il s’agit bien de cela), je frappe quelques coups sur la porte. Ca sonne creux et ça résonne…

Grâce à nos repérages en ligne (textes, vues satellites et vues aériennes anciennes), nous savons être au cœur d’un complexe allemand de stockage de V1 datant de la Seconde Guerre mondiale. En effet, les dimensions des bunkers correspondent.

Après cette première porte fermée, nous nous dirigeons vers le deuxième bunker. En effet, une dizaine sont construits le long d’une route (aujourd’hui simple chemin) au cœur de la forêt. Le second semble ouvert, de loin, mais fausse joie, il est également fermé comme son semblable. Tim et moi évoquons le fait qu’il sont sans aucun doute tous fermés, mais procédons tout de même à une dernière vérification. Nous ne ferons pas les autres si le troisième est fermé. Nous avons le temps, mais aussi la fatigue. La journée précédente fut bien remplie.
Le troisième bunker de stockage est également fermé. Nous obliquons alors vers l’autre point repéré. Les casernements.

En route, je repense à ces bunkers et me fais la réflexion de l’impact des constructions nazies de l’organisation Todt en Europe entre 1939-1945. Tant de béton utilisé, pour ces constructions de génie militaire, qui sont encore debout 70 ans après. Pas une seule région, pas un seul pays d’Europe n’a été épargné. Batteries, bunkers, souterrains, lieux de stockage… et ce fameux Mur de l’Atlantique.
Outre les moyens humains et financiers pour construire ces infrastructures, qu’en est-il aujourd’hui ? Au delà des sites touristiques ou muséaux, que peuvent bien en faire les mairies, les départements et les régions ? Ces épais murs de béton si caractéristiques ont-ils également un impact environnemental ? Devrions-nous les détruire, les effacer ou alors les conserver comme souvenir vivants de ce conflit mondial et des atrocités du régime nazi ?
En 2022, je suis plus que jamais partisan de la dernière option quand je vois les discours haineux à la télé, les sondages incroyables font certaines chaînes, les échanges agressifs sur les réseaux sociaux. Et puis, soudain, je tombe sur une rangée de poteaux du réseaux de barbelé. Si caractéristiques, avec leur inclinaison, ils ressemble tellement à ceux d’Auschwitz. Je frissonne.

Perdu dans mes pensées, je reviens à la réalité. Nous sommes maintenant devant les casernements. Quelques bâtiments, courts sur pattes, mais assez longs. Ils sont bien évidemment assez abîmés mais leur aspect extérieur est assez magique. Vierge de tout tags.

Le toit qui s’effondre par endroits, la mousse aux tons jaunes et verts, les volets jaunes… Il y a quelque chose de très graphique dans ces bâtiments, de très marquant. Je déclenche mon appareil pour quelques photos et me dépêche d’entrer à la suite de Tim. Une route passe juste derrière et nous voulons bien sûr rester discrets.

L’état intérieur n’est pas le même. Cloisons détruites, messages gravés sur les murs (1999 ou 2018), plus de mobilier si ce n’est quelques éviers ou portes… Le fonction dortoir est aisément repérable. Sans doute y avait-il un lit par fenêtre, puis au fond la chambre de l’officier. Travailleurs TODT ou dolats gardant ce lieu de stockage ? Pas de réponse sur le site.

Au vu du peu de choses à fouiller, nous faisons vite le tour des bâtiments. Mais leur nombre crée autant de petits visites intéressantes. Entre deux dortoirs, un ensemble de douches, toilettes et lavabos. Un peu à l’écart, une grange accompagnée d’un bâtiment entièrement fait de bois. Sans doute une salle de détente ou de travail. Juste à côté, un chenil pour les chiens de garde. Ce n’est pas difficile à imaginer. Notre imaginaire a été abreuvé de fictions (films, séries, livres) sur la Seconde Guerre mondiale et ses combats. Et pour un peu je me croirai dans les baraquements de La Grande Évasion ou ceux de Papa Schultz.

Après avoir vu tous les bâtiments, nous faisons quelques clichés dans le deuxième dortoir. Je suis attiré par une symétrie étrange. Le chambranle d’une porte donne sur une seconde, donnant elle-même sur un bout de toit effondré. J’aime cet enchaînement et me pose quelques minutes pour bien faire mes photos.

Une grosse heure et demie après notre entrée sur les lieux, nous clôturons notre exploration. Courte, elle fut tout de même passionnante et promet un petit paragraphe historique assez complet sans risque de dévoiler quelque chose. À l’idée de repartir en sens inverse à travers la forêt, je me renfrogne. Mais Tim attire alors mon attention sur une porte d’accès au dortoir qui permet de retourner sur la route. Décidément, nous nous sommes donné du “mal” à l’entrée. Mais nous sommes restés discret.
Contents de cette petite urbex, nous reprenons la route pour un repos bien mérité.

Un (tout petit) peu d'histoire

1949
1957
1960
1966

Tout d’abord, un rappel historique et contextuel primordial. Vers la fin de la Seconde guerre mondiale, se sentant acculé, Hitler lance son programme d’armes de représailles (Vergeltungswaffe en allemand), les V1. Destinés à frapper l’Angleterre depuis la France occupée, ces missiles  (premiers du genre) devaient en théorie faire flancher les Alliés. Lancés depuis la côte française ou l’intérieur des terres, ils partaient d’une rampe, volaient au-dessus de la Manche, puis s’écrasaient en Angleterre, une fois le retardateur arrêté.
Un tel programme nécessitait une logistique implacable et bien huilée : bases de lancement, stockage, emplacement de préparation… Autant dire que la France fut couverte de ce type de bases dont certaines sont très connues

La base explorée, et que je nomme Soldatenheim (foyer du soldat, en allemand) est en plein cœur d’une forêt française. Par soucis de camouflage bien évidemment et pour éviter les bombardements alliés.

Le premier cliché (à gauche) date de 1949 et montre une partie du complexe. On y remarque un sentier reliant les différents bunkers de stockage et un accès à la première voie d’accès à proximité.
La forêt ne semble pas très fournie, peut être à cause d’éventuels bombardements, du remembrement post-conflit et de travaux locaux. Nous sommes quatre années après la guerre, beaucoup de choses se sont passées depuis.
Pas de rampe de lancement sur place ni à proximité immédiate.

Le second cliché est une vue aérienne de 1957 qui montre cette fois l’ensemble de la base de stockage. Une étrange boucle est visible à la fin (en bas à droite), sans doute pour permettre aux véhicules transportant les V1 (démontés ou non) de faire plus aisément demi-tour.
Tout en haut, on aperçoit enfin les habitations des soldats ou ouvriers de l’organisation Todt. Proche de la route, mais pas trop loin de l’installation. Praticité et efficacité.

L’ensemble des bâtiments sont bien espacés afin de se protéger les uns et les autres en cas de bombardement ou d’explosion malencontreuse d’un V1.
La forêt semble plus touffue et reprendre possession des lieux.

Le troisième cliché date de 1960 et ne montre pas grand chose de nouveau . L’installation est la même. De cette altitude, elle semble entretenue, sans doute a-t-elle servie aux villes proches ou propriétaires des terrains. Je remarque vers le bas de l’image comme des stigmates de bombardement. Cependant, j’en doute, n’en n’ayant pas observé sur place, comme on peut le voir si clairement à Verdun.

Mes recherches historiques ne me permettent pas d’en savoir plus pour l’heure. Choix du lieu, pourquoi un lieu de stockage sans rampe, emprise des installations, destination actuelle ou futurs des bunkers… Je ne peux aller plus loin sans en révéler trop, ni même sans avoir à dévoiler aux autorités mon exploration.

À voir aussi

Lagerhaus par Glauque Land
Une autre vision de cette exploration et une partie histoire plus détaillée. En effet, les bâtiments d’habitations ne datent pas la Seconde Guerre mondiale mais de bien après.

Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que le Soldatenheim sera abandonné. Respectons-le pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y travaillèrent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).