Château Mautiffe (06/2022)
Parfois, avant même d’entrer sur le terrain d’une nouvelle exploration, on ressent quelque chose de particulier. Comme si celle-là sera insolite, précieuse, unique et exceptionnelle à la fois. C’est un peu cette impression qui me vient lorsque je tente maladroitement d’enjamber les barbelés qui entourent le Château Mautiffe.
Quelques minutes auparavant, nager dans cette mer d’herbes hautes me rendait déjà heureux. Comme un gamin dans la première neige ou comme un explorateur débarquant sur un territoire vierge et inconnu. Ma peur des tiques et serpents ne peut lutter longtemps contre ce sentiment d’inconnu et de nouveau. Je frétille, littéralement.
Bientôt, Tim et moi approchons d’une sorte de grange et d’autres bâtiments plus petits formant un beau corps de ferme. Les espaces, grands et vides, restent impressionnants. Quelques outils agricoles, d’autres plus techniques… Et dans un coin, un ballon d’eau chaude, neuf. À côté, un début de réhabilitation des sanitaires. Briques, plaques de plâtres… Étrange vision dans ce lieu abandonné mais qui confirme la thèse d’un départ précipité. Comme si l’ampleur des travaux avait fini par décourager le propriétaire.
Nous ne nous attardons pas et nous dirigeons maintenant vers le château dont les tours pointent derrière les arbres. Le soleil de juin écrase et grille nos nuques. Je ne supporte pas longtemps le t-shirt que je me suis noué sur la tête en guise de casquette et sue déjà à grosses gouttes. J’approche maintenant du château avec respect.
Dès le rez-de-chaussée, nous saisissons l’immensité de ce château. Nous explorons sans sortir nos appareils, subjugués par la taille des pièces, les plafonds, le mobilier… Nous passons à l’étage, tout aussi démesuré. Chambres, salles d’eau, couloir, escalier… Puis enfin nous arrivons sous la charpente, ses poutres immenses et sa fournaise de juin. En deux minutes, je ruisselle. Contradiction de l’exploration urbaine où il faut s’équiper et se protéger même en été… Devant l’immensité du château Mautiffe et du travail qui nous attends, je demande à Tim que nous restions au même étage. Pas de séparation, au cas où l’un de nous deux rencontre un problème. J’admets être ainsi plus serein. Trépieds montés, réflex décachetés, sacs posés dans un coin… C’est parti !
La pièce au fond du couloir révèle une charpente à nu, comme celle d’une cathédrale. On y ressent rapidement la force et la puissance du bois qui tient l’édifice depuis déjà tant d’années. Par contre, la fonction première de cette espace m’échappe. Pas de mobilier, pas de plomberie… Seulement une petite pièce au fond, basse sous plafond. Espace de stockage ? Pièce intermédiaire ?
La chaleur devient chaque seconde plus lourde. Je passe donc maintenant au couloir, marqué par ces poutres au sol. Comme dans un navire, nous devons lever les pieds pour avancer.
Aux murs, des papiers peints, différents à chaque pièce, et présentant des motifs floraux, végétaux ou artistiques. Il y en a une telle diversité que je décide ainsi de nommer fictivement le château d’après ces motifs.
Au fur et à mesure que j’explore les chambres de cet étage, je me dis que le château prends des aspect de colonie de vacances ou alors d’hôtel. Mais mes hypothèses ne seront guère plus précises. Je ne vois pas de sanitaires : douches ou WC. Le côté collectif de ces dispositifs alimenterai alors la thèse d’une colonie de vacances.
Les autres chambres changent parfois de disposition, d’aspect en fonction de leur emplacements sous les toits. Sortes de Bow window, lits, petites fenêtres, rangements sous la pente de la charpente… Mais surtout et toujours, des motifs différents à chaque pièce.
Puis dans une des dernières chambres que j’explore, je marche sur un feuille. Je m’en saisi et réalise à la lecture qu’il s’agit d’un contrôle de mathématiques. En date du Lundi 22 novembre 1993 pour la 3e AB. Le premier exercice semble facile mais mes notions de maths sont trop lointaines puis je détestais ça. Si vous le cœur vous en dit :
1) x étant un nombre : E = 16-(2x+3)².
2) Développer et réduire E
3) Factoriser E
4) Résoudre l’équation E = 0.
Si jamais quelqu’un se souvient de ce contrôle et de cet exercice le lundi 22 novembre 1993…
Complètement trempés, nous terminons d’explorer les pièces à notre disposition. Certaines sont envahies de laine de verre et nous ne pouvons y entrer. Puis Tim se concentre sur un rayon de soleil qui s’épanouit dans le couloir. Et pour l’effet photographique, je passe les dix prochaines minutes à écraser du plâtre dans cette lumière pour l’effet photographique. Il vous faudra aller voir le résultat sur son site.
Redescendu à l’étage inférieur, je respire enfin. Les courants d’air et les murs de pierre épais diffuse une fraîcheur bienvenue. Mais ici, les espaces sont aussi immenses, dispersés, variés et incroyables qu’en haut. Je commence par le fond pour ne pas gêner mon camarade. Et chose étrange, ce sera une chapelle !
Haute sous plafond, aux murs peints pour simuler les pierres, avec un bel autel de bois décoré… L’espace disponible semble assez grand pour accueillir une petite dizaine de personnes. Et curiosité dans la curiosité, je découvre un cabinet de toilettes dans la chapelle ! Pourquoi donc ? Pour éviter de trop s’éloigner en cas d’envie pressante ? Pour se soulager tout en suivant la messe ? Je ne saurai jamais mais je reste amusé.
Passant aux espaces attenants à la chapelle, j’éclate soudain de rire ! Des toilettes, encore… Mais pourquoi donc y en a t-il dans la chapelle alors ? Mystère du Château Mautiffe.
Dans le même périmètre de la chapelle et des toilettes bleues se trouve une pièce d’eau. En témoigne le carrelage à hauteur d’homme. Pas de baignoire, sans doute pillée ou détruite dans les tentatives de réhabilitation que nous avons pu apercevoir.
L’ambiance colorée est agréable et tandis que je me concentre sur la démarcation entre le carrelage et la peinture bleue, je pense à Diane. Elle qui adore les textures, la peinture qui s’écaille… Elle serait ici aux anges !
Je continue d’explorer les chambres qui suivent, tout en entendant au loin les bruits de Tim : pas, déclencheur, trépied… Cela me rassure. Seul, je n’aurai vraisemblablement pas exploré le Château Mautiffe. Ou alors je l’aurai bâclé.
D’ailleurs, rétrospectivement, je suis assez content du résultat. Au château Mautiffe, je prends enfin mon temps, cherche le bon angle de vue, photographie enfin en RAW, profite des pièces et des particularité insolites que je peux rencontrer… Aucune obligation ne vient me rappeler à l’amère réalité du monde, édition 2022.
Je rentre à nouveau dans ma bulle sensorielle lorsque je reviens à mon point de départ, près de la chambre et des appartements des domestiques. Mais soudain, mon réflex me paraît chaud… Je l’ausculte rapidement et effectivement il déraille complètement en affichant des pixels bizarres sur l’écran de contrôle. Enclenchant une nouvelle batterie dans la bête, je vois que le problème perdure. Alors je pose mon fidèle D7000 dans un coin le temps de refroidir. En attendant, je vais m’étendre sur le premier lit à ma disposition. La fenêtre ouverte m’apporte les bruits et la lumière de l’été, je ferme les yeux… Un moment hors du temps.
Pause sonore
1 minute d’ambiance sonore pendant ma sieste au château Mautiffe. (Montez le son !)
Mon réflex ayant repris ses esprits, je peux continuer à explorer et terminer ainsi l’étage. Un court escalier mène aux appartements des domestiques. Plus petits, plus bas sous plafonds, ceux-ci sont immédiatement identifiables comme tel. Comme si rabaisser les agents de services était aussi nécessaire, physiquement et matériellement.
Mais ici aussi, les motifs ont la part belle dans la décoration. Peu de traces de vies, sauf dans la chambre d’adolescent. Autocollants de rugby, de Vans et carte postale de South Park… J’imagine la vie de cet ado au sein de ce grand château. Connaissant les moindres recoins, les bois alentours, il en fait son domaine, son royaume jusqu’à ce que ses rêves soient trop grands. Alors il ne pense qu’à partir ailleurs.
Revenus au rez-de-chaussée, nous arpentons maintenant, cuisines, pièces de stockages, salons, salles à manger et petits jardins d’hiver donnant sur l’arrière du domaine… Pas une inscription, pas un tags, rien. Tout est en bon état. Dans la cuisine des conserves de Chili con Carne, une essoreuse, des bouteilles, un pot de sel dont les composants se sont séparés. Dans la salle à manger, des papiers personnels. Dans les salons, de beaux canapés qui nous appellent pour une courte pause. Et puis de ci, de là, quelques pots de peinture ou sacs de ciments. Traces bientôt fossilisées de cette rénovation avortée. Je comprends alors aisément la démotivation certaine du propriétaire qui tenta de redonner au Château Mautiffe ses lettres de noblesse. Une véritable fortune et main d’œuvre seraient nécessaires, sans assurance de succès par la suite.
Matériel rangé, sac à dos en position, je m’apprête à ressortir du château… Quand je remarque une petite inscription sur le mirroir du salon. Une date : 23/05/2021 – 11h44 (si mes souvenirs sont bons). Une exploration récente donc. Qui ? Ce château est connu sous un autre nom dans la communauté des explorateurs urbains. Du moins, merci au camarade d’avoir laissé une trace discrète et délébile.
Dehors, je saisis l’ampleur du domaine dont les arbres, arbustes, herbes hautes s’épanouissent sans restriction aucune.
Cher Château Mautiffe, tu resteras une exploration insolite, précieuse et chère à mon cœur. Je te donne une place de choix dans mon Top 3. Puisses-tu un jour revivre sous une forme ou une autre.
On termine ce récit avec une petite mosaïque de l’ensemble des motifs floraux du Château que j’ai pu photographier. Il en reste sans aucun doutes des dizaines. Mais on ne peut pas toujours tout faire…
Un tout petit peu d'histoire
La beauté de ce château est inversement proportionnelle à son histoire. Du moins de ce que j’ai pu en trouver en ligne. Soit, vraiment pas grand chose ! Une recherche dans les archives du coin m’apprendrait certainement plus de choses. Mais le temps et l’argent me manquent.
• La bâtisse serait érigée au XIXe siècle sur une ancienne place forte des seigneurs de la région défendant l’unique accès au bourg voisin.
• Les documents trouvés dans la salle à manger ne m’apprennent rien de plus sur l’ancien propriétaire. Si ce n’est son nom et son domicile principal. Je reste bredouille de ce côté-là.
Je vous épargne les vues satellites et photos aériennes de l’IGN, qui ne révèlent pas grand chose de plus. La dernière remonte à 2002 et les abords du château sont encore entretenus et une voiture rouge garée à proximité. Cette info, recoupée à celles des papiers personnels, me permet de suite l’abandon à 2012 environ, soit une dizaine d’années.
Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que le Château Mautiffe sera abandonné. Respectons-le pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).
Toutes les photos de la visite
Ne sont visibles dans ce diaporama que les clichés non présentés dans le récit ci-dessus (mon profil Flickr est plein).