Un peu photographe, un peu curieux, surtout passionné…
Viaduc oublié (06/2022)
En plein de centre de la France, surplombant une vallée assez abrupte, gît un viaduc. Oublié depuis maintenant près de quinze ans, il tient fermement sa place et résiste au temps ainsi qu’à la rouille. Le vent siffle dans ses croisillons métalliques, l’eau s’infiltre doucement, le lierre grimpe inexorablement les deux piles du pont, les arbres poussent sur le ballast… Plus personnes ne l’emprunte, aucun train, aucune voiture, aucun vélo. Mais le viaduc reste là, nostalgique de ses heures de gloire. Ce temps béni où de gracieuses locomotives à vapeur emmenaient fièrement leurs passagers à destination. Plus tard, ce fut ces Michelines, brinquebalantes et crachant nuages noirs. Et puis juste avant la fin, ces nouvelles rames des trains régionaux. Tout en vitres. Perdu dans la campagne française, loin de tout, le viaduc n’a bientôt plus vu de train passer. La voiture et le diesel supplantant tout, il n’y eut bientôt plus assez de voyageurs dans les wagons. La ligne, jugée peu rentable à l’aune du capitalisme, fut fermée sans autre forme de procès. Même déclassée. Aucun train ne pourra jamais la réemprunter. Oui, l’Homme choisi souvent l’option la plus facile : voitures et villes.
Alors depuis maintenant quinze ans, le Viaduc tient tant par sa construction robuste que par sa situation. Tandis que brunit son métal et que la nature réclame son dû, le Viaduc reste là. Comme un hommage à ses constructeurs, à une époque perdue, à un avenir incertain.
Les chemins qui mènent au Viaduc ne sont plus praticables en cette année 2022. Il nous faut enjamber barrières, éviter les déjections ovines, descendre un talus puis parcourir le ballast, maintenant bien encombré. La porte gardant l’accès est au sol, tordue. Nous pénétrons sur le territoire interdit, posons notre équipement puis appréhendons les lieux. C’est étrange de se retrouver à hauteur de train, là où seules les équipes techniques passent. Devant nous s’étend le Viaduc, sur deux grosses centaines de mètres. En dessous, une petite rivière dont le ronronnement nous parvient étouffé.
Quelques clichés, puis nous descendons par l’escalier de service. Celui-ci nous mène d’abord dans un vide technique sombre, humide et immense. Mais il débouche sur un passage en plein cœur du monstre métallique. La vision est grandiose. L’ingénierie dont ont fait preuve les constructeurs est époustouflante. Les rivets, innombrables, les poutres entremêlées… Les photographes que nous sommes s’en donnent à cœur joie, bientôt perdus dans la multitude de prises de vues possibles…
Nous remontons enfin à l’air libre, si je puis me permettre, et sortons les drones. Je tourne, retourne, virevolte et passe sous le Viaduc pour monter ensuite une petite vidéo (disponible plus haut). La luminosité change trop fréquemment et je suis obligé de me cacher sous un t-shirt, comme sous le drap d’une chambre noire.
Nous repartons bientôt, heureux de cette petite découverte, et laissant le monstre d’acier se reposer jusqu’au prochain curieux. Le retour est acrobatique et fatiguant alors que la chaleur du soleil, bientôt à son zénith, se fait plus forte à chaque pas.
Un tout petit peu d'histoire
Vous l’aurez sans doute deviné à la forme technique de l’ouvrage et à ces croisillons métalliques, le Viaduc oublié est l’œuvre de la société Eiffel. Gustave en fut le maître d’œuvre, tandis qu’un de ses ingénieurs fut le conducteur de travaux. Ceux-ci durent trois ans environ, dans les années 1880 et la ligne de chemin de fer ouvre finalement vers 1890.
250,50 mètres de long pour 91,33 mètres de haut, le Viaduc est un ouvrage exceptionnel, grand frère de la Tour Eiffel. Les trains circulèrent pendant près de 120 ans sur ce pont. Aujourd’hui déclassé, mais inscrit aux Monuments historiques (1975), il semble faire l’objet de projets de réhabilitation écologique.
Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que le Viaduc oublié sera abandonné. Respectons-le pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).