Abbaye Liezen (09/2022)

Avant même de commencer cette page, je me posais déjà la question. Comment m’y prendre ? Comment écrire un énième récit d’exploration ? Comment éviter la sempiternelle rengaine : j’entre ici, je vois ça, je passe par là… Il me faudrait diversifier, imaginer autre chose. Peut-être un texte fictif ? Plus tard, je n’ai pas la plume assez aiguisée pour cela. Ni même les idées, pour le moment.
Un matin de septembre, sous la pluie fine, descendue de hauts nuages gris, nous explorons une sorte d’abbaye fortifiée. Entourée de bâtiments bas, en partie brûlés, elle trône dans les plaines de la région. En effet, sa position est stratégique car posée sur un renfort naturel près d’un cours d’eau.

Dans le carré brûlé

L’extérieur, en soi, n’est pas très intéressant et se constitue principalement d’écuries, d’étables, de porcheries et de granges. Celles brûlées sont comme les vestiges d’une ville après une guerre. Poutres décharnées pointant vers le ciel, murs branlants résistants aux vents, intérieurs chargés d’objets et de débris. Les granges, au nombre de deux, sont immenses. La première est étrangement vide et de vieux tissus pendent du plafond comme pour construire un théâtre d’aventures enfantin. Un chat noir et blanc passe et nous observe depuis la charpente. La seconde n’est qu’un amas de vitres brisées, de vieux objets, de télévisions à écrans cathodiques, de pots remplis de liquides noirs… Une passerelle en bois circule dans la charpente. Elle devait sans aucun doute, permettre d’acheminer du foin dans la grange.

Dans la pénombre des vieilles pierres

Le rez-de-chaussée, plongé dans la pénombre, n’est qu’un ramassis de meubles, de planches, de magazines, d’ustensiles de cuisine… Peu d’inscription sur les murs pour une fois. Quelques “ta mère la pute” et autres noms d’oiseaux. C’est agréable de trouver un lieu si vierge de tags et autres graffs. Comme si l’abandon datait d’hier.

N’étant pas particulièrement fan d’exploration sombre, comme je l’appelle, j’hésite à photographier. Puis finalement, avec un trépied et en pose longue, je me dis que c’est possible. Et je trouve soudain l’inspiration quand j’aperçois la lampe de Tim au seuil d’une porte. L’éclairage ainsi créé transfère une atmosphère poétique à la pièce. Clic !

Bien que je réalise maintenant que les lieux sont loin d’être une abbaye, la fonction religieuse reste plausible. Et j’imagine alors être dans un prieuré ou un logement pour prêtres. Au fond d’une pièce, une porte laisse entrevoir un escalier ancien. De ceux que l’on voit dans les châteaux forts ou autres structures fortifiées. En colimaçon, il tourne vers la gauche et laisse entrevoir ses belles pierres de taille. Des fenêtres murées aux parpaings cassés laissent passer la lumière grise de midi. J’apprécie l’ambiance mais vraiment, l’urbex sombre, c’est pas mon truc.
Lors du tri et des retouches des photos, je passe plusieurs minutes à retirer les inscriptions murales. Il y en a peu mais elles gênent.

Après l’escalier se révèle une salle médiévale. Par ses dimensions, par son sol mais surtout par ses fenêtres (dites géminées) typiques et son grand foyer au fond. Au delà des restes manifestes d’un squat, on pourrait se croire en train de visiter un des nombreux châteaux du pays. Les restes de volets intérieurs et les assises intégrées constituent les éléments les plus marquants d’un passé médiéval pour ce bâtiment. D’ailleurs, de nombreuses images de gravures, d’illustrations de manuels scolaires, de séries, de films ou de romans remplissent mon esprit à mesure que j’évolue et photographie. Celles d’aventures fantastiques (et de fantasy) également.
Profitant d’une énième panne technique de mon réflex, j’investis une fenêtre. Une fine pluie se met à tomber et rafraîchis sensiblement l’atmosphère. Je divague, m’évade dans le paysage alentours et réalise que ses assises intégrées sont en fait géniales. Qu’en avons-nous fait au XXIe siècle, perdus dans nos écrans et nos vies trop rapides ? Quel dommage ! Nous laissons trop peu de temps à la contemplation.

Sous l’immense charpente, qui n’est pas sans rappeler celle du Château Mautiffe, pigeons et chauve-souris jouent les effarouchés par ma présence. Ça gratte, ça piaille et volète. L’espace est vide et nu. Seul quelques colliers d’attelage pour chevaux pendent aux crochets. Ils sont d’époque, vraisemblablement. Bien abîmés mais encore présents.

Sous les voûtes

Arrivé au bout d’un cheminement, il semble que l’exploration touche à sa fin. Mais finalement, je remarque un escalier près de notre point d’entrée et l’emprunte. La promesse de découvrir de nouvelles choses se fait plus tentante.
Une fois monté, je comprends qu’il doit s’agir de chambres mais elles sont trop abîmées, le toit laisse passer le jour et la pluie. Une odeur particulièrement forte stagne dans l’une d’elle. Je déclenche bien vite et passe mon chemin. Une porte, si petite, que je la franchis presque accroupi m’amène enfin dans la dernière pièce à explorer. Et celle-ci est voûtée !

Frappé par cette petite découverte, je fais un premier tour de repérage. Quatre clés de voutes, un sol en tomettes, des murs blancs… La pièce est étrange, car le visiteur ou l’explorateur n’est jamais directement à portée de mains d’un tel plafond travaillé. Le sol dû être ajouté par la suite et l’espace d’avant plus grand et majestueux encore.

Ressortis et réfugiés dans la grange aux tissus, nous attendons que la pluie cesse pour faire décoller le drone. Je repense à tout ce que nous avons vu et qu’au final ce lieu est bien étrange et le fruit de différentes modifications au gré des siècles. Médiéval, religieux, agricole… Quel fut son vrai usage ?

Et comme à chaque fois, la tristesse de fin d’exploration laisse lentement place à l’excitation de la recherche historique. Mais déjà, nous repartons vers un autre lieu tout aussi exceptionnel et unique en son genre.

Finalement, une fois rentrée, je ne mets longtemps à mettre la main sur quelques informations dont je vous fais une synthèse ci-dessous.

Depuis les airs

Lors d’une deuxième visite, fin septembre, j’en profite pour faire décoller le drone et prendre un peu de hauteur. De là-haut, la position fortifiée se révèle. Comme un donjon, les habitations trônent au milieu des écuries, granges, étables et autres dépendances techniques.

Histoire

Photo prise à la fin du XIXe siècle.

En fait, pas d’abbaye mais une ancienne forteresse apparemment érigée au XIIIe siècle sur un éperon naturel. Plus tard, la fonction défensive semble laisser la place à celle agricole. En effet, aux alentours, ce ne sont que champs et grands espaces. Au fil des siècles, le bâtiment évolue, s’agrandit, se modifie.  Mais cette bâtisse carrée à quatre étages resta fièrement implantée avec ses attributs si médiévaux : voûtes, grande pièce, oculus, fenêtres géminées, assis intégrées.
L’ensemble sera classé aux Monuments historique durant les premières années de la Seconde guerre mondiale. Et de ce que me révèlent les vues satellites (au delà de la perte progressive d’un verger et d’un bâtiment), il restera très longtemps agricole. Je n’ai pu préciser la date de l’abandon et de l’incendie.

1956
1961
1968
2006

Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que l’Abbaye Liezen sera abandonnée. Respectons-la pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).