Château Cesky (09/2022)
J’ai beau avoir mangé assis, en me relavant, je suis toujours aussi fatigué. Le sac, plein à craquer, tire sur mes épaules. Appareil photo, drone, trousse de secours, trépied, bouteille d’eau… Tout ce petit monde pèse lourd et je me sens comme un cheval de trait après une dure journée de labeur.
Arrivé à proximité du Château Cesky, nous devons arpenter quelques centaines de mètres de végétation emmêlée, folle et libre. Un reste de chemin en béton nous guide néanmoins vers la bâtisse. Des arbres fins lèchent les murs, entrent par les fenêtres, des arbustes en sortent… C’est à chaque fois un plaisir renouvelé de voir la Nature s’épanouir ainsi et d’être témoin de cette beauté mélancolique mais puissante qui se dégage des bâtiments oubliés.
Devant l’entrée gisent divers objets, formant ainsi un monticule hétéroclite de métal, de feuilles et de terre. M’en approchant, je remarque alors qu’il s’agit en fait des restes d’un splendide auvent en fer forgé. Protégeant autrefois les marches de l’entrée de sa magnificence, il gît au sol, perdu, oublié et maintenant fatigué. Pour accéder au château, je dois alors ramper sous ses doigts de métal.
Sur le pas de la porte, un chien, en mosaïque, m’accueille comme un avertissement. Instantanément me reviennent alors mes cours d’histoire et de latin dans lesquels figurait l’expression « Cave Canem » et cette photo de la mosaïque de Pompéi.
J’ignore le message et franchit le seuil. D’abord, un couloir menant à diverses pièces dont la hauteur sous plafond avoisine les quatre mètres. Les plafonds sont richement décorés malgré le passage de plusieurs incendies. Ils restent monumentaux et grandioses, ornés de gravures et autres reliefs, comme ses paysages lunaires, qu’ici sublime la trace anthracite des flammes. Du coin de l’œil, j’aperçois des ronds parfaits dont l’origine m’échappe. Comme des traces d’étais.
L’ancien salon, maintenant nu et abîmé, ouvre sur une végétation foisonnante mais on imagine sans peine que la vue sur la vallée en contrebas fut sublime, permettant une contemplation apaisée du paysage. Les immenses fenêtres, orientées vers le sud-ouest, virent quant à elles d’innombrables couchers de soleil. Alors que j’arpente le salon, sous mes pas crisse la poussière blanche du sol et des murs qui s’effritent. Au gré des prises de vues et des positions improbables que j’adopte, mes vêtements disparaissent sous de larges traces blanches, vertes et marrons.
La salle à manger, que jouxte la cuisine, est dans le même état que son voisin. Une nouvelle fois, mon regard est attiré par les restes de l’incendie, parti depuis cette pièce. Et le plafond me fait penser à cette photo d’un soldat américain apparaissant si petit dans ce bâtiment nazi, noirci, immense et détruit à Berlin en 1945.
Maintenant que l’architecture et les dimensions du Château Cesky me sont familières, j’explore les autres pièces et m’attarde sur quelques détails. Là, une ronce et un lierre s’allient pour franchir une fenêtre, ici un reste de papier peint aux motifs de chasse résiste sur un chambranle de porte et encore là, la lumière verte de la végétation si proche vient lécher les anfractuosités du sol.
Dans certains endroits, les mosaïques sont encore visibles. Avec un peu d’attention et un coup de propre, elles resplendiraient de nouveau. Contre un relief du couloir principal, une toile d’araignée recouverte de cette fameuse poudre m’accapare quelques minutes. Tout comme l’inscription, là-bas au fond, qui indique la porte comme l’entrée de l’Enfer. La mise en scène fonctionne, pour une fois, car bien pensée et minimaliste.
Mû par un sentiment bravache, j’y entre, gravis quelques marches, avant d’esquiver à temps un grand trou ouvert sur la cave. La seconde partie des escaliers est intacte, bien qu’encombrée, et rassuré, je continue l’ascension. Mais c’est quand un craquement se fait entendre que je réalise soudain mon imprudence. Je suis sur une porte inclinée de façon à remplacer les marches absentes. Le trépied dans une main avec l’appareil fixé dessus et le sac sur le dos, je viens de faire une grosse connerie. Je redescends tout en me fustigeant d’imbécile. Dehors, je range l’appareil et sors le drone. Il est temps de prendre de la hauteur.
Cadrer le château s’avère plus compliqué que prévu. Très vite, apparaissent sur les images les maisons des habitants et autres infrastructures publiques que la loi m’interdit de photographier. J’y parviens tout de même par des astuces de vol et d’orientation de la nacelle photo. Le premier étage reste caché tandis que le deuxième se révèle végétal, abimé, ouvert à tous vents. Clairement, l’incendie s’en est occupé, grignotant la charpente.
Une fois rejoint par mes camarades explorateurs, nous décidons d’aller voir de plus près cet étrange bâtiment arrondi caché dans les arbres un peu plus bas. À quelques encablures du château, une belle vision s’offre à nous. Un bout de la route d’accès au Château disparaît sous les arbres, les ronces et la canopée, mais un lampadaire rouillé émerge tranquille et fier. Immédiatement, je repense aux décors postapocalyptiques décrit par Cormac McCarthy dans son livre La Route.
Nous arrivons sur le bâtiment par le toit et cherchons à descendre dans les étages inférieurs. Ceux-ci sont essentiellement vides, courbés et envahis par le lierre qui ne laisse passer que peu de lumière. Aucun indice ne nous permet pour le moment d’en savoir plus et nous rivalisons d’hypothèses logiques ou farfelues. Ce n’est finalement qu’au sous-sol que nous comprenons enfin. En effet, dans cette dernière pièce, de sortes de petits renfoncements accueille des cabines sanitaires, toilettes ou douches. Au fond, une grande pièce carrelée et un étrange piédestal. Comme pour arroser quelqu’un, de façon forcée.
Histoire
Le château Cesky n’est en fait pas tout seul dans sa ville, et plusieurs voisins lui font ombrage de leur célébrité. Les recherches numériques en sont donc compliquées, mais je vous en restitue le principal bien que je n’aie pu croiser les sources. L’erreur est donc possible.
Comme beaucoup de ses congénères, il semble être l’œuvre d’un industriel, bienfaiteur de la commune mais qui assoit ici son aisance financière. La construction se serait déroulée dans les années 1860.
À la mort du patron quelques années plus tard, la propriété et la fabrique (où est-elle ?) sont léguées mais ne survivent pas bien longtemps. Un temps, l’ensemble est utilisé comme terrain militaire. Durant le second conflit mondial, les terrains apparaissent occupés par les Allemands puis deviennent ensuite propriété de l’administration pénitentiaire. Formation, hébergement, bureaux… la véritable destination du Château reste incertaine. Comme toujours, seule une recherche plus approfondie pourra nous en dire plus. Néanmoins, le dernier bâtiment semble bien avoir été une unité de soins pour la tuberculose, autrement dit un petit sanatorium.
Abandonné au début des années 2000, le château Cesky fait alors l’objet de débats et d’attention municipale. Cependant, un incendie, dix ans plus tard, semble sceller pour toujours le triste sort du Château.
1962
1975
1986
2002
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À l’époque de sa visite, la verrière de l’entrée était encore debout. Et elle était magistrale.
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Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que le Château Cesky sera abandonné. Respectons-le pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).