Labo 7 (03/2023)

Chaque fois que je termine de retoucher la dernière photo d’une exploration, la même question vient me hanter : « Bon, et maintenant, j’écris quoi ? ». Les récits linéaires m’embêtent et le descriptif pur de mes sensations commence à être d’une banalité affligeante. Et pourtant je continue à explorer, à photographier et à raconter. Pourquoi ?

J’y pense déjà quand je me plaque dans un renfoncement après avoir escaladé cette grille immense et robuste. Nous attendons que le dernier membre du trio parvienne également à franchir cet obstacle. Et tandis que ma cuisse droite me lance douloureusement et que naissent les hématomes, je me demande bien ce que j’écrirais plus tard.

Mais une fois le seuil franchi, mon esprit s’éteint. Du moins, un peu. J’explore, un point c’est tout. Et mes interrogations restent, somme toute, assez triviales. Qu’était ce lieu ? Cette pièce, qu’y faisait-on ? Pourquoi cette chaise ici ? Que pense cet ordinateur oublié dans une armoire ? Qu’est ce qui motivait ceux qui explorèrent avant moi ? Pourquoi ce tel besoin impérial de laisser une trace de son passage ? Bon, pas si triviales, finalement. J’ai l’imagination fertile.

Au menu de cette matinée, un ancien laboratoire de recherche, délaissé depuis maintenant une bonne dizaine année (premier constat). Quelques meubles, quelques documents et quelques appareils bien étranges de mesures, dispersés dans les étages. Des paillasses, des hottes aspirantes et quelques restes de travaux confirment le côté recherche (chimie ou physique) de la bâtisse. J’engrange ces informations et les garde précieusement dans mes dossiers. Trop en raconter, c’est révéler. Et ce lieu reste assez précieux. En ces années 2020, l’exploration urbaine jouit d’une piètre réputation. Il n’est pas utile d’ajouter des pierres à l’édifice et de donner des clés aux destructeurs. Oserais-je dire qu’il me tarde que ce lieu soit réhabilité ou détruit pour en parler librement ? Oui, très certainement.

Mais revenons-en à nos moutons ! Outre la curiosité de base et le frisson de l’exploration, qu’est ce qui me pousse donc à aller voir derrière ces portes qui grincent et ces pièces à la peinture qui s’écaille ?

Tout d’abord, le silence. Ou du moins l’absence des nuisances sonores de la ville et du quotidien. Surexposés comme nous le sommes. Un bâtiment sans engueulades, sans moteur pétaradant, sans trains ou avions passant à proximité reste une denrée rare et d’autant plus appréciable. Rien de plus unique au final que les craquements d’une porte, le claquement d’un volet dans le vent, le bruissement du lierre envahissant. Ces lieux de l’entre-deux constituent alors une halte pour l’esprit et le cerveau. Un havre de paix.

Ensuite, l’oubli. La sidérante rapidité de l’oubli humaine me fascine. Le temps n’est rien et l’humanité n’est que de passage. Mais ses constructions perdurent, modifient, chamboulent et animent le paysage terrien. Comment peut-on travailler ou vivre dans un lieu pendant plusieurs décennies et partir rapidement ? Sans offrir de réelle conclusion à ce lieu qui porta nos espoirs, nos peurs, nos joies, nos doutes. J’ai parfois l’impression dans les pièces de vies abandonnées de « ressentir » les précédents occupants. Dans les bureaux du Labo 7, je ressens la frustration des chercheurs suite à une erreur de chiffre ou l’euphorie de la percée scientifique. Sans aucun doute, les restes de dossiers et les noms sur les portes accompagnent le ressenti.

Enfin, l’absence. Oui c’est contradictoire. Mais l’absence de vie ordonnée et construite reste attirante et parfois tellement photogénique. On parvient à s’imaginer la vie d’alors, les heures de gloire. Et dans l’absence, au final, il y a de la vie, à l’image de ses peintures qui continuent de s’écailler.

Le Labo 7 est bel et étrange lieu. Rétrospectivement, j’en apprécie plus la visite et les photos une fois rentré que pendant l’exploration elle-même. La faute aux hématomes ou frisson de l’interdit, sans doute.

C’est vrai qu’il faut aussi compter, dans l’exploration urbaine, sur la fatigue et la satisfaction du travail accompli. Ce sentiment de joie mêlée de béatitude, une fois reparti, en se disant « On ne s’est pas fait chopés ». Encore un, rien que pour nous.

Et puis cette sensation incomparable, une fois rentré, délesté des affaires sales, des chaussures crottés, du sac à dos trop rempli… de l’eau chaude qui vient soulager les membres courbaturés, les petites écorchures et les muscles trop tendus.

Un peu d'histoire

Peu de choses sont vérifiables en l’état sur le Labo 7 et comme toujours, une séance aux archives s’impose pour en savoir plus.  Cela se fera en temps et en heure. Pour le moment, ce que l’exploration et mes recherches m’apprennent :

  • Le Labo 7 permettait aux scientifiques d’effectuer des recherches pointues sur les métaux, leur résistance, leur composition, leurs effets… Des affiches aux murs mentionnent “réaction péritectique” soir le mélange de deux corps purs qui fond par la suite.
  • Le bâtiment en lui-même existe depuis 1947 au moins, si ce n’est avant. Néanmoins dans une configuration différente.
  • En 1963, le Labo 7 est agrandi. Un parking, une aile supplémentaire, deux hangars et une sorte de jardins sont ajoutés à l’ensemble. En effet, cela correspond à l’arrivée d’une nouvelle équipe en juillet 1965 suite à une restructuration
  • Par la suite, cela semble être l’âge d’or du site et de la recherche qui est menée. Le parking ne désemplit sauf pendant les vacances d’été.
  • Néanmoins dès le début des années 2000, le site semble subir quelques changements. En effet, le jardin au fond de la propriété disparaît peut à peu dans la végétation faute d’entretien.
  • Dès 2010 environ, l’abandon est manifeste. Le parking est vide et la végétation reprend ses droits. La structure de tutelle du Labo 7  a dû réorganisé ses équipes.
1947
1950
1963
1969
1982
2008
2011

Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que le Labo 7 sera abandonné. Respectons-le pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).