Fabrique Pappir (05/2024)

Ce lieu est en cours de réhabilitation par les associations et les institutions publiques dont il dépend.
Merci de respecter le travail en cours !

Il n’est plus temps d’écrire encore une fois le récit de mes déambulations dans ces lieux abandonnés dont regorge la France. J’ai trop de fois détaillé la chronologie de mes pas et les sensations vécues : peur, colère, bonheur, tristesse, frayeur, solitude, sérénité… Alors pour une fois et comme une tentative, voici maintenant un texte de fiction. Inspiré par un objet de ce lieu si immense.

Vide et pourtant pas tant que ça. Les arbustes poussent, les poutres s’effritent, le métal grince… En partie coincé sous cette immense dalle de béton, il le voit bien ce grand vide. Gigantesque, musical, tranquille parfois, souvent agité quand le ciel fait des siennes. Il pleut à l’intérieur, enfin l’intérieur… C’est vide dit. C’est à la fois dedans et dehors, comme un étrange entre-deux. D’ailleurs, la pluie a mangé, petit à petit, la dalle qui, ensuite, lui est tombée dessus. Il s’en serait bien passé mais bon, objet, il est, objet il restera. Pas le choix. Sa moitié écrasée lui paraît en bon état, préservée de tout, finalement. Quant à l’autre, c’est un désastre. Elle est là, mais humide, couverte de champignons, d’une couleur indéfinissable, à moitié déchirée… Les décennies l’ont marquée à tout jamais. Pourra-t-il en faire quelque chose ? Ce n’est pas dit.

Pour l’instant, il aimerait surtout sortir de cet endroit. Partir, voir ailleurs et enfin servir à quelque chose. Accomplir son but, la raison de sa fabrication. Oh, il en a bien conscience. Ce ne sera pas grand-chose, rien de transcendant. Mais une toute petite chose, c’est déjà quelque chose. Il préfère ça à l’immobilité de sa jeunesse. Coincé parmi les autres, se débattant pour tenter d’exister, puis laisser faire. La pression du groupe l’a toujours ennuyé. Même maintenant, être seul ne le dérange pas. Il se parle à lui-même, tient un concile quand ça ne va pas. À l’époque quand le grand vide grouillait d’activité, il avait déjà eu un peu du mal. Migraines, vertiges et emballées cardiaques. Puis c’était passé…

Brièvement quelques souvenirs remontent à la surface. Le bain géant dans lequel on le laissa mariner plusieurs heures, l’odeur intenable de chou chaud, les lampes dans cette salle immense qui pendant deux jours l’assoiffèrent et puis cette machine tonitruante et tournoyante comme un manège d’enfants. À toute vitesse, enroulé autour de cet axe métallique. Il mit longtemps à reprendre ses esprits ce jour-là. C’est à ce moment que, curieusement, le grand vide se mit à bruisser différemment. D’ordinaire si vivant, grouillant d’activité, ce fut le calme plat pendant une bonne journée. L’activité ne repris jamais vraiment après ça, puis plus du tout. On le laissa sur son axe métallique.

Maintenant il rêve et cherche ce qui lui ferait plaisir après tout ce temps. Il sait bien qu’il finira en cendres et en fumée dans une déchèterie vu son état. Enfin, rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. Il deviendra énergie. Mais pour le moment, il rêve. Et sa fonction première, une fois sorti de la rotative, c’était d’être imprimé. De recevoir des caractères ou une illustration. Porter une histoire puis la transmettre aux autres.
Un roman policier, ça ne luit dit rien. Trop sombre, trop réel, trop répétitif. Les histoires de flics torturés, ça suffit. Une romance non plus. On chante l’amour, on le danse, on le cuisine, on fait tout avec amour. C’est vrai, c’est beau, mais vu et revu. Pas d’essai, ni d’histoire non plus. C’est intéressant mais il voudrait tellement… Emmener son lecteur loin, très loin. Qu’il s’imagine l’histoire et que dans sa tête naissent des images, des paysages uniques, des conversations, des situations uniques.

Ça y est ! Il sait. Ce sera un récit de voyage. L’histoire de quelqu’un qui parcourt le monde, rencontre des paysages inconnus, croise des gens nouveaux chaque jour, peine parfois à continuer, tombe malade, se perd, doute de lui-même, part dans une joie incontrôlable, s’écroule de fatigue.

Un récit qui bouge et raconte la vie pour ces immobiles et pour lui pauvre rouleau de papier décrépi oublié dans la Fabrique Pappir depuis vingt ans.

Un peu d'histoire

Ce lieu est en cours de réhabilitation par les associations et les institutions publiques dont il dépend. Merci de respecter le travail en cours !

La Fabrique Pappir est le fruit d’une longue histoire et je ne peux trop en dire sans en dévoiler la localisation. Voici donc quelques éléments.

  • Comme vous l’aurez sans doute compris, il s’agit d’une fabrique de papier. Construite au début du XIXe siècle.
  • Jusqu’en 1850 environ, la fabrique ne cesse de se développer, acquiert de nouvelles machines, emploie jusqu’à plus de 200 personnes et produit 300 tonnes de papier pour l’impression et l’écriture.
  • Durant des décennies, la Fabrique Pappir est l’une des plus importantes du pays et fournit les acteurs majeurs de l’édition.
  • Comme toute entreprise, elle change de propriétaires et de dirigeants assez régulièrement.
  • À l’aube des années 2000, sa production est de 30 000 tonnes de papier par an dont la moitié à l’exportation semble-t-il.

Si vous 30 ans et plus en 2024, il est plus que certain que vous ayez lu un livre dont le papier fut fabriqué chez Pappir.

Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que la Fabrique Pappir sera abandonnée. Respectons-la pour la vie qu’elle accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).