Atakul (04/2023)

Avant même d’y avoir mis les pieds, je savais que le village d’Atakul constituerait une exploration insolite. Comment précisément ? Aucune idée mais la taille et son emplacement présageait d’une déambulation tranquille et contemplative.

Le jour même, c’est un minuscule parking de forêt qui nous accueille. Comme d’habitude, la fatigue accumulée dans les explorations précédentes se fait ressentir. Les épaules résistent moins vite, les pieds endoloris crient au massacre, mais on avance tout de même.
La forêt, bien calme, profite du renouveau qu’apporte le printemps et revit doucement. Seuls nos échanges perturbent le chant des oiseaux. Optant pour la discrétion, je nous fais couper à travers bois pour attendre Atakul par l’ouest. Ce que nous découvrons est alors bien étrange.

Les maisons ne sont pas terminées. Ni vitres, ni portes, les plaques de plâtre portent encore les traces d’enduit, les fils électriques sortent des faux plafonds et du sol, les charpentes sont à nus sans isolation… Voilà l’insolite ! Explorer un lieu abandonné mais jamais habité, jamais fini. Ce mélange hétéroclite de neuf et d’abîmé est tout à fait merveilleux ! Vieux et jeune, neuf et détruit, vide mais pas habité… Je décèle alors une histoire, sans doute tragique effleurer de ce lieu. Tandis que je déambule, entre dans des salons ouverts à tout vent, traverse des jardins envahis, observe les étages supérieurs sans pouvoir y monter faute d’escaliers, je cogite.

Les espaces dans les maisons sont restreints. Trop peu étendus pour accueillir la vie d’une famille ou d’un couple de façon permanente. Et c’est lorsque nous approchons d’une grande salle immense que je comprends. Atakul est un village de vacances, ou ce qui s’en rapproche le plus.

Un petit logement, idéal pour une semaine, pas plus et des activités en commun dans les espaces collectifs. Ceux-ci sont d’ailleurs grandioses, autant par leurs dimensions que par leur état actuel.

Le toit, percé, permet l’épanouissement de la mousse dans certaines zones, les murs de parpaings réjouissent les graffeurs en tous genres, et la disposition des pièces les joueurs d’airsoft. Les billes blanches s’amoncellent dans les pièces communes.
D’ailleurs, j’y pense un court instant, ces billes sont-elles biodégradables ? Parce que l’impact environnemental de l’airsoft serait alors important, même si ce n’est pas grand-chose à l’échelle globale.

Ressortant de l’espace commun, nous avisons un bloc de béton un peu étrange avec des fosses remplies d’herbe bien verte : le pôle aquatique. Vestiaires, espaces de massages sans doute et piscines. Petites certes, mais certainement très agréables. Placées au centre du village, elles en sont le point d’orgue. Une invitation au repos et à la détente. L’arbre qui pousse maintenant dans le bassin ne dirai pas le contraire.

Pour terminer, nous explorons les dernières maisons, nombreuses, mais identiques en tout point. Tantôt envahies par la végétation, tantôt épargnées mais néanmoins détruites. Ce mélange de neuf et d’abandon me fascine. La mousse si verte sur les plaques de plâtres, le lierre et les arbustes essayant de rentrer dans les salons…

Nous repartons ravis de notre découverte. C. ne cesse de me répéter qu’Atakul ferait un excellent décor pour un film ou une série post-apocalyptique. Il a raison. La réalité dépasse très souvent la fiction.

Mais à peine ai-je posé mon sac à dos dans le coffre de la voiture, qu’il me tarde d’en savoir plus sur Atakul et son funeste destin.

Un peu d'histoire

2007.
Les travaux battent leur plein, en témoigne la terre retournée et claire.

L’histoire d’Atakul reste simple malgré son caractère insolite et tragique. Au début des années 2000, une société civile immobilière propose à la ville principale un projet de village de vacances de plusieurs centaines de places. Un bail à longue durée est alors accordé et la construction commence. Sur le papier, le projet reste alléchant et idyllique. Les maisons se vendent sur plans. En effet, la dizaine d’hectares du projet avec sa balnéothérapie notamment, attire du monde.

Cependant, en plein travaux, la société civile immobilière semble rencontrer des problèmes et des retards sont annoncés, à répétition. Les prestataires des travaux, sans interlocuteurs et las de ne pas être rémunérés, décident de cesser la construction. Ils repartent avec les matériaux encore récupérables.

Quelques années après le début du projet et des travaux, la SCI entre officiellement en liquidation judiciaire. Petit à petit, Atakul se transforme en friche et reçoit la visite d’indésirables (selon le point de vue).

Mais l’histoire n’est pas finie. Loin de là. Le projet passe maintenant entre les mains de la justice qui rend le terrain à la ville. Les acheteurs trompés souhaitent maintenant récupérer leur mise, mais le dossier erre entre avocats et notaires. Certains obtiennent gain de cause via la justice et les assurances. Néanmoins, une grande partie reste sur le carreau, la justice ayant annoncé la prescription du défaut à l’origine d’Atakul. Au final, c’est une dizaine de millions d’euros investit par des particuliers, entreprises ou groupes qui est perdue.

Depuis Atakul dort au milieu de la forêt en attendant son destin. Rénovation ou destruction, aucune idée. Seul le temps nous le dira.

2011.
Les travaux semblent à l'arrêt car la végétation reprend ses droits et l'aspect général est le même qu'aujourd'hui.

Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant qu’Atakul sera abandonné. Respectons-le pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).