Centre Lutz (09/2022)

L’esprit encore embrumé par une nuit hachée, je récupère mes deux compères à la gare. Ils ne sont guère plus frais que moi et la fraîcheur matinale de l’automne n’arrange pas les choses. Mais une même passion, celle des lieux abandonnés, nous réunit et nous échangeons bien vite anecdotes, bons plans, adresses et conseils pendant cette heure et demie de route.

Ayant repéré plusieurs bâtiments à explorer, notre premier essai se solde finalement par un échec retentissant. La petite histoire, ci-dessous. Renfrognés, notre exploration du Centre Lutz apparaît donc naturellement comme une superbe découverte, bien loin du lot de consolation

Alors que nous constatons que le soleil et le ciel s’avèrent plus généreux que prévu, nous nous garons près de notre premier repère. Après coup, nous réaliserons nous être arrêtés bien trop près. La grille s’ouvre, pas de panneaux dissuasifs, un étrange stockage de boîte de VHS, c’est confiants que nous entrons. Quelques centaines de mètres plus loin, j’aperçois furtivement la silhouette d’un chien bouger dans sa cage, là-bas entre les arbres. Je savais le lieu surveillé, c’est maintenant confirmé. Nous changeons de route et redoublons de discrétion. Nous inspectons les premiers bâtiments à notre portée mais, fermés, nous ne pouvons les explorer. Plus loin, une chaufferie se montre et nous attire. Nous nous glissons sous le volant roulant et une fois rentrés, une voix grave nous salue. Le gardien nous invite à ressortir. Après quelques échanges, celui-ci, très poli mais apparemment coutumier du fait, nous invite à quitter le domaine.

Sur le chemin du retour, nous passons devant de nouveaux bâtiments délaissés et notre déception devient plus grande à chaque pas. Mais sérieux, nous ne tentons pas le diable à continuer nos bêtises. Ce domaine, grand, beau, exceptionnel, chargé d’histoire, nous file entre les doigts. Déçus, nous repartons maintenant vers le Centre Lutz.

C’est un mur aux pierres apparentes et fragiles qui nous permet d’entrer dans la forêt. En quelque pas, nous quittons donc la route mais trouvons aussi vite le Centre Lutz. D’emblée, il apparaît abîmé, exploré, fatigué mais bien présent. Au premier pas, ça crisse. Vitres cassés, débris de mur, chambranles de portes… L’habituelle musique accompagnant l’explorateur urbain.

Dans les premiers instants, je reste perplexe face à ce centre. Je ne saisis pas la disposition des pièces et les graffs aux murs me laissent de marbre. Quelques pièces plus loin, je tombe sur un tapis de papiers aux multiples couleurs. Je farfouille et tombe sur les tarifs, en francs, d’une buvette, et puis plus loin sur une pile de factures. Celles-ci émanent d’un centre pénitentiaire. Ma curiosité, maintenant éveillée, se fera plus grande à chaque petite découverte. Je débute mes clichés.

Un long couloir, si semblable à ceux des sanatoriums, ouvre sur de nombreuses chambres. D’une dizaine de mètres carrés chacune, parfois moins, elles se révèlent vides. Seuls quelques vieux cadres de lits survivent. Parfois, des sanitaires, toilettes ou douches. Un vieux chauffe-eau en travers de la perspective. L’ambiance d’abandon est complète. Cependant, je ne parviens toujours pas à comprendre l’essence de ce centre. Que fut-il ? Qui y vécu ? Pas de barreaux aux fenêtres, donc ce n’est pas une prison. Pas tellement de pièces pour une vie commune foisonnante, donc ce n’est pas un centre de vacances. J’échafaude de nombreuses hypothèses, passant de l’une à l’autre au gré de mes pérégrinations.

Au premier et dernier étage, les espaces ressemblent plus à des appartements bien que les cuisines soient absentes. De plus, je remarque bien vite qu’un ensemble de pièces ne communique pas avec le suivant. En effet, seuls des trous dans les murs permettent le passage dans le groupe suivant. Impossible de passer par l’extérieur, pas d’entrée, ni de balcons… Je reste intrigué par ce bâtiment. Son organisation spatiale m’échappe et les différentes théories s’enchaînent toujours dans mon esprit. Puis soudain, dans une pièce, sous la poussière et les débris, le sol révèle un motif enfantin. Comme ces tapis de jeu très connus.

C’est étrange mais il me tarde de rentrer pour débuter mes recherches. Et sur l’instant, je ne sais pas ce qui me passionne le plus : explorer ou rechercher. Comme si je ne pouvais apprécier pleinement la première visite tout en étant dans le doute, en quelque sorte. Et c’est pourquoi, j’aime visiter à nouveau un lieu, une fois que je sais. L’exploration en est différente, nouvelle.

Avant de redescendre au rez-de-chaussée, tout en me perdant dans ce dédale, je tombe sur un escalier au briques apparentes. Ses murs roses, texturés par la peinture fatiguée qui s’écaille, contrastent fortement avec le vert de la végétation qui s’invite à l’intérieur. Le soleil de midi (déjà !) joue dans les feuillages et sur les murs. Une atmosphère calme et sereine se dégage de ce moment hors du temps.

Dans nos derniers instants d’exploration, nous arpentons le reste du centre. Un étage unique fait de groupes de pièces isolées, comme une succession de petits appartements mitoyens. Pour passer de l’un à l’autre, il faut enjamber de petits murets et se baisser sous les arbres venus lécher la façade. Dans l’une, nous posons pour une photo de groupe, facilitée par le grand-angle d’Urbefox.

Arrivés au bout du Centre Lutz, nous nous posons pour manger. La fatigue, les gros sac-à-dos, le piétinement répété, la station debout commencent à avoir raison de nous.

Centre de détention aménagée, centre de vacances, logement pour personnels… Ce centre m’intrigue trop pour rester objectif. Bien que sévèrement abîmé, il recèle encore quelques pépites, quelques beaux agencements de pièces, quelques belles textures. Comme si dans son déclin inéluctable, alors que sa ville le laisse clairement périr, il se lançait dans un baroud d’honneur. Histoire de partir avec panache comme le disait si bien Cyrano sous la plume de Rostand.

Histoire

Mai 1962

Le Centre Lutz reste encore à l’heure actuelle une énigme et il semble que seule une recherche dans les archives physiques me permettra d’en savoir plus. Pour le moment, je vous restitue le peu que la Toile m’en a appris.
Tout d’abord, le bâtiment apparaît sur une vue aérienne en 1935. Au vu de sa situation géographique et de la réputation du village dans lequel il est implanté, la théorie du sanatorium ou préventorium (centre de cure pour enfants et adolescents) est crédible. Ce type d’établissement disparaissant avec l’avancée fulgurante de la médecine dès le milieu du XXe siècle, son changement de fonction ne fait aucun doute.

Ci-contre, le centre Lutz sur une photo (recadrée) de mai 1962. Ses alentours sont bien dégagés. Sans aucun doute, son âge d’or.

Ensuite, la relative proximité d’un centre pénitentiaire avec le Centre Lutz appelle à penser qu’il fut peut-être utilisé comme logement pour les surveillants et leurs familles. Une autre hypothèse est celle d’un établissement de détention pour mineurs mais l’absence de structures d’enfermement (barrières, barreaux, espace clos…) n’entérine point cette supposition. La plus convaincante semble celle d’un centre de formation. En effet, les factures du centre pénitentiaire trouvé dans la pièce du rez-de-chaussée le confirment. De plus, un article de la presse régionale de 2010 mentionne que la parcelle appartenait à l’administration pénitentiaire.

Enfin, tant que le centre n’est pas à terre par destruction volontaire ou simplement par le temps, il est difficile d’en dire plus. Néanmoins, une visite aux archives physiques du département apparaît indispensable dans un futur proche.

1947. Mauvaise définition mais celle-ci nous permet tout de même de voir que les alentours sont envahis par la végétation. Restes d’un premier abandon ?

1973. Le parc est de nouveau dégagé et aménagé. Des voitures sont même garées aux abords du Centre Lutz. De petits carrés potagers entourent le domaine.

1978. Toujours aussi bien  entretenu  mais moins fourni. Logique, la photo est prises en novembre, l’hiver arrive et les arbres perdent leur feuillage.

1997. Dix-neuf ans plus tard, le Centre Lutz est toujours présents mais semblent moins entretenu à l’extérieur.

2010. Clairement, à cette époque, le centre est abandonné depuis peu. Les espaces paysagers sont envahis, aucun véhicule et surtout, le toit change de couleur

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© Glauque Land

Le récit de Tim aka Glauque Land.
Même lieu mais avec plus de bâtiments explorés. Et la partie histoire est plus fournie !

Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que le Centre Lutz sera abandonné. Respectons-le pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).