Établissement Pepeni (02/2023)

147 jours sans exploration. Quelle disette ! Les disponibilités de chacun, la météo, les aléas de la vie… Chaque fois, ce fut reporté. Et puis début février, les astres s’alignent car une sortie est enfin prévue. Avec frénésie, je prépare mon sac, mon appareil photo, mon repas, tout. Mais le lendemain matin en me réveillant, j’apprends la mort de mon père. Et le monde s’écroule.

Deux semaines plus tard, Glauque Land et Neverends me proposent une sortie. Partagé entre l’envie de me changer les idées et celle de refuser, je gamberge trop. Je traîne mon marasme émotionnel comme un boulet. Au final, nous partons tout de même et je me laisse conduire. Pas envie de décider, plutôt de me laisser porter.

Une fois sur place, mes deux comparses trottent comme des petits lapins tandis que je peine à conserver le rythme. Le lieu est surveillé et en plein village. Il ne faut pas trop traîner dehors. Un petit muret à franchir, un jardin envahi d’herbes hautes, un patio, une fenêtre cassée et hop ! Nous voilà à l’intérieur de l’Établissement Pepeni.

Comme d’habitude, petit tour d’horizon jusqu’au dernier étage avant de sortir nos appareils et de photographier, chacun à son rythme. Mais je ne suis pas tranquille pour autant car à tout moment, nous pouvons nous faire repérer. Les explorations « tranquilles » de l’été 2022 me manquent. Comme celle du Château Mautiffe, loin de tout, isolé, où même une sieste fut possible.

Le dernier étage de l’Établissement Pepeni se constitue principalement de grandes salles, certaines dénudées, d’autres remplies de tables et chaises de réunion. De ci de là, traînent également une charentaise, une paire de chaussures, un prospectus… Ces petits objets redonnent un élan de vie au lieu. Comme un sursaut avant l’oubli définitif. Un dernier souffle pour tenter de vaincre ces Hommes qui construisent et oublient si facilement.

L’odeur si âcre du renfermé et l’humidité ambiante viennent parfaire le tableau complet de l’abandon. Je me rends compte alors qu’elles m’avaient manqué. Grâce à elles, je replonge immédiatement dans ma bulle. Celle bulle si spéciale et fragile dans laquelle j’aime entrer en exploration. Hors du temps, hors des soucis, hors de la folie…

Petit à petit, des objets se révèlent. Oubliés lors du grand départ, ils m’aident à chercher la fonction première du lieu, à imaginer la vie qui pulsait ici, les histoires, les confidences et les drames.

À l’étage inférieur, une suite de chambres identiques en tout point, si ce n’est la couleur des murs. Mais à chaque fois restent seulement deux lampes accompagnées chacune d’un numéro. Parfois, un poster décrépi s’accroche au mur, une brosse à dents gît dans un placard, un rasoir sur le bord d’un évier. Alors se dessine le destin de cet Établissement Pepeni qui fut très certainement à visée médico-sociale ou de réinsertion. En effet, par moment, des recommandations au calme ou à l’hygiène sont placardés sur les portes et dans les couloirs. C’en parfois même des injonctions couplées de sanctions.

L’état global de l’établissement est impressionnant. Un coup de balai et de peinture ainsi qu’un peu d’aération, l’ensemble serait comme neuf. Et cela est troublant, car certaines de mes photographies n’apparaissent pas assez « urbex ». Mais l’absence, l’oubli et le vide restent paradoxalement bien présents. Et j’y trouve mon compte.

Au rez-de-chaussée, je continue à photographier calmement, cherchant l’angle insolite ou le détail qui tue. Mais l’Établissement Pepeni reste relativement anecdotique et peu croustillant.

Néanmoins, il constitue un bon retour aux explorations et je n’ai cessé de retrouver des sensations perdues. Le silence, les rideaux jaunis, les constellations de points noirs d’humidité, les lierres grimpant aux fenêtres, un rayon de soleil qui change en quelques secondes l’atmosphère d’une pièce, les faux plafonds tombés constituant alors un sol irrégulier…

Nous passons au sous-sol et peu amateur d’exploration sombre, je range mon appareil. Je suis mes comparses, les aide dans leurs prises de vues, tient une lampe pour éclairer quelque chose. Dans une pièce, des archives ont été colonisées par des champignons, montant maintenant sur les murs. Immédiatement, je pense au jeu et à la série The Last of Us. La réalité de l’abandon dépasse le travail des décorateurs.

En ayant terminé avec ce bâtiment, nous rejoignons à pas de loups le dernier qui nous reste. Petit, à un seul étage, il est constitué de plusieurs pièces éparses, séparées par un hall. Et après avoir déjeuné, nous jouons au jeu des chaises musicales. L’un dans telle pièce, le second dans l’autre et ainsi de suite. Nous nous croisons furtivement dans le hall et rions sous cape de ces déplacements.

Ce bâtiment abrite des bureaux, une salle d’attente et un salon de coiffure. Comme un centre de remis en beauté ou en forme, pour oublier la vie d’interné ou le retour à la vie sociale. Je n’en sais rien. Mais j’imagine.
Et finalement je m’éclate photographiquement plus dans ce dernier bâtiment que dans le premier. Lentement, je trouve l’angle souhaité, la lumière voulue…

Tandis que Neverends conçoit une petite mise en scène de son cru, je range mes affaires. Et puis je m’évade en pensées. Je me dis alors que ces lieux abandonnés sont paradoxalement assez vivants. Non seulement par les gens qui les explorent, mais aussi par le temps qui passe et fais bouger les choses : plafond qui s’effondre, fenêtre cassée lors d’une tempête, humidité galopante rongeant les murs… Au final, oubliés des hommes mais vivants tout de même.

Comme l’on se demande si les arbres qui tombent seuls en forêt font du bruit, les lieux abandonnés des hommes restent bien vivants. Comme un beau pied de nez…

Et dans la chambre n°29...

Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que l’Établissement Pepeni sera abandonné. Respectons-le pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).