Hôpital Trema (01/2022)
Pour une fois, le départ ne s’effectue pas aux aurores dans la nuit noire. Les jours rallongent et les nuages laissent de plus en plus la place au soleil. Enfin ! En avance, j’attends mes camarades explorateurs sur le parking et dévore mon petit déjeuner. Bientôt, tout le monde est là et nous partons. Paris dans le rétroviseur arrière, la Normandie devant le capot, nous avalons les kilomètres. On se relaie pour la conduite, une pause pour le ravitaillement et encore 30 minutes de route. Nous voilà arrivés.
Équipés, nous partons à pied vers l’hôpital. Heureusement qu’ils me guident, je me serai perdu dans ce labyrinthe. Un peu d’escalade, de passages encombrés par la végétation, puis enfin la porte.
Mon premier contact avec l’hôpital est coloré et vitré. En effet, une couloir lumineux et orange fait le tour, en partie, du bâtiment.
La couleur orange de certains murs est reprise par le lambris boisé au plafond. Feuilles mortes, restes de dossiers administratifs, emballages à bulles, cartons… L’abandon est manifeste et très clair dès les premiers pas. Puis, je repère le lierre qui se glisse par les fenêtres et tente d’investir les lieux. Je suis subjugué par cette force que montre la nature. Elle reprendra toujours ses droits, son espace. Elle était là bien avant nous, et le sera bien longtemps après notre extinction. Passionné par le post-apocalyptique (littéraire, cinématographique et vidéoludique), j’ai, pour ainsi dire, été abreuvé par les images classiques de notre civilisation sous la végétation. Et à l’instant, je ne fais plus preuve d’objectivité et reste fasciné par ce lierre. Je me revois jouer à The Last of Us, Horizon Zero Dawn et sa suite, et lire ces innombrables romans post-apo…
Je parcours la coursive dans son intégralité et croise une gouttière verte, une raquette de tennis, un sapin de Noël nu… L’ambiance est étrange, triste et calme à la fois.
J’entre maintenant dans le cœur de l’hôpital et décide de faire le tour du rez-de-chaussé pour bien m’imprégner des lieux, de leur disposition. Je veux comprendre leur fonction avant de les photographier.
Des posters de merveilles lointaines, de grandes affiches de forêts ou de jungle, une carte du monde me confirment le côté récréatif de cet étage. Salles d’activités, salles de repos… Histoire de changer des chambres et pièces de soins sans doute. Puis au fond du couloir des vestiaires pour le personnel. J’y tombe sur une directive du Ministère de la Santé en date de… 1975 ! Au sol, un emballage de dentifrice de chez Prodent dont le graphisme me ramène aux années 1980-1990. Quelques pièces vides m’évoquent des chambres. Au nombre de deux, elles sont donc rares. À l’opposé du couloir, une cuisine. Imposante, aux meubles bleu foncé, à l’évier profond (typique des lieux collectifs)… Y trônent encore quelques bols et tasses. Vision étrange dans un lieu aussi vide, que ce symbole du quotidien… La vaisselle qui traîne.
Je monte au premier étage alors que le soleil perce timidement les nuages. Furtivement quelques éclaircies illuminent alors le couloir. Cela en devient magique et génère un sublime contraste. Les peintures qui s’écaillent contre le blanc cru du soleil de février. Les rideaux gris de saleté contre les petites apparitions de l’astre.
Les portes du couloir sont toutes ouvertes et débouchent chacune sur une chambre ou un pièce d’eau ou de soins. Près des poignées de porte, un demi-cercle de métal protège le bois des frottements. Des armoires encastrées sont aussi présentes. Curieusement, elles empruntent l’espace aux chambres. En effet, dans celles-ci, l’espace des armoires crée comme un négatif et aménage alors une étagère en hauteur. Cet ensemble d’aménagements me rappelle alors l’école élémentaire de mon enfance. Ce long couloir avec les classes réparties de chaque côté. Ce doit être un courant architectural répandu. Mais je ne sais lequel.
Vers la fin du couloir, je vois poindre du rose. Je m’avance et ferme les portes au fur et à mesure de mon avancée quand j’aperçois une veste. Sur un cintre, accrochée à une poignée de porte. Étrange apparition. Certainement orchestrée mais l’effet est garanti. Le couloir en devient plus vivant.
La salle rose m’intrigue et m’attire. La peinture écaillée, les éclaircies me calment et m’apaisent. Puis pour parachever l’ambiance, tout un coup des oiseaux se mettent à chanter. J’y reste quelques instants à profiter puis je fais quelques clichés. Rageant un peu car je ne saisis pas bien l’ensemble. Il me faut vraiment un objectif grand-angle.
Je repars dans le couloir, découvre une ou deux salles de soins. Flacons et papiers médicaux sont encore présents. Je fouille un peu. Puis dans l’une d’entre elle, je tombe sur des agendas de la fin des années 1990. J’en ouvre un. À certaines dates figurent des comptes-rendus de visite à un patient. Les infirmiers, médecins ou aide-soignants de l’hôpital devaient rendre visite à un patient autonome. Il y est question de son bien-être, de ses sorties, de son argent, de sa famille, de son studio. Il semble en bonne forme mais parfois très inquiet avec des pensées obsédantes ou comportements étranges. Plus je feuillète, plus j’avance dans les années et plus je me sens proche d’A. et me demande alors ce qu’il en est de lui aujourd’hui. Où est-il ? Comment va-t-il près de 26 ans après la première entrée dans l’agenda ?
Je termine mon exploration de l’étage, découvre un ascenseur insolite, tombe sur un Femme Actuelle d’octobre 1989, sur un boîte de Vitamine C périmée depuis maintenant 22 ans… J’oublie un peu le temps, les soucis et mes camarades d’exploration (pardon !).
Je passe maintenant au dernier étage de l’Hôpital Trema. La disposition des pièces est identique à l’étage inférieur mais la courbature du toit donne un tout autre aspect aux espaces. L’arrondi rends les pièces plus agréables, plus sympathiques. Cela casse l’image habituel de l’hôpital blanc et rectiligne.
Près d’un tableau électrique, je découvre un poster avec une citation de l’artiste belge, Julos Beaucarne. Dans un autre, l’affiche d’un atelier artistique tient encore malgré la peinture qui s’écaille… Et puis dans une salle de bains, sur le bord de la baignoire, j’aperçois un vieux slip, des charentaises et un pantalon. Vision écœurante mais mon esprit carbure. Je me demande si c’est une mise en scène ou un oubli lors de l’abandon de l’hôpital.
Au fond du couloir, une pièce vide montre la courbure du toit. Elle me rappelle la voute d’une église de style gothique. Et cette porte… Vers quoi mène-elle ? J’imagine tout un coup la scène d’un film un peu surréaliste, à la Tati ou David Lynch. Un personnage cherche quelque chose, ouvre des portes et passe de pièces en pièces étranges ou insolites. Puis vient la dernière. Il hésite à ouvrir, entrouvre puis referme. Il réfléchit puis finalement franchit la porte. Mais la caméra ne lui suis pas et ne dévoile rien de l’étrange pièce… Générique.
En venant à l’Hôpital Trema (nom fictif), je ne m’attendais à rien de particulier si ce n’est à un lieu vide, déjà exploré, plein de graffitis et de tags… Il n’en fut rien et les quelques éléments restants ou historiques ont rendu cet hôpital encore vivant. Paradoxalement. J’y ai vu et imaginé le personnel, les patients, les chambres, les salles de repos et d’échanges, la coursive pleine de vies, d’histoires, de doutes, de peines, de douleurs, de sanglots… Maintenant rentré et reposé, je m’imagine aussi les guérisons, les visites, les deuils, les réunions, les pauses cafés.
Merci à Glauque Land, Neverends et Petites observations cyclistes de m’avoir accompagné et attendu.
Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que l’Hôpital Trema sera abandonné. Respectons-le pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y travaillèrent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).