Manoir Tønder (06/2023)

Encore une fois, devant la feuille blanche, l’inspiration fait défaut. Les souvenirs de l’exploration, les émotions ressenties, je m’en souviens bien, mais les mettre en forme semble tout d’un coup être impossible. Et bien évidemment, il me faut éviter de refaire sempiternellement la même chose. Mais comment raconter différemment ? La fiction pourrait aider, mais je n’ai pas cette prétention.
Les explorations se suivent et pourraient se ressembler. Cependant, au fil du temps, l’œil s’exerce, voit différemment, accroche parfois plus les détails ou l’ensemble… La forme physique et l’état mental jouent également beaucoup sur le ressenti. Chacune est différente.
Seul reste intact le frisson de l’interdit, de la découverte et de l’exploration. Cette augmentation du rythme cardiaque au moment d’entrer sur les lieux, cet étonnement d’enfant en pénétrant la bulle de l’oubli et du temps figé, cette unique sensation d’être seul au monde.

Comme souvent et à mon grand plaisir, l’accès au Manoir Tønder facile et rapide. Mon gabarit n’est pas du meilleur augure pour ce genre d’activité. Lourd et encombrant, j’apprécie une simple enjambée plutôt qu’une escalade, surtout la plus courte. Les barrières ne m’ont pas laissé de bons souvenirs.

Du Manoir, je n’aperçois rien, si ce n’est la végétation envahissante, touffue et joyeuse qui encombre le terrain. Une fois passé par la fenêtre, le vestibule, sombre comme tout, met quelques secondes à se révéler. D’emblée je suis trompé par un miroir, intact, et pense pouvoir partir à gauche pour débuter mon exploration. Oui, l’état global de la bâtisse est assez bon pour que les miroirs soient entier. Détail qui préfigure l’ensemble des découvertes. Pas une seule inscription, pas un tag… Le Manoir est bien abandonné, reçoit un peu de visite, mais seul le temps et les intempéries ont modifié sa structure.

De ci, de là, des essais de réhabilitation se font jour. Essentiellement dans le salon où des étais tentent de retenir le plafond. Des sacs de ciment ou de mortier dans un coin, un seau, une truelle. Je les vois mais reste fasciné par le soleil blanc du matin entrant dans le salon et jouant de ses reflets dans les fougères. Celles-ci poussent sans demander leur reste et investissent le plancher humide et craquelé.

Comme d’habitude, un tour d’horizon nous permet de mieux cerner le Manoir, ce qui nous attend, ce qui nous intéresse… Puis chacun se met à explorer. Le silence de l’abandon recouvre alors les lieux, seulement troublé par le lointain raffut de la ville ou nos petits sifflements discrets. C’est ainsi que nous vérifions nos présences mutuelles ou attirons l’attention sur quelque trouvaille.

Un premier salon, au sol en damier et aux murs ornés finement décorés, intrigue. Vide, immense, il devient tout d’un coup l’archétype de la contemplation. Le soleil jouant dans les feuillages pose une ambiance sereine dans la pièce. Une fontaine et une cheminée se regardent à travers la pièce. Jeu de contraire qui s’attirent et s’opposent. La végétation qui pousse contre les fenêtres enferme le bâtiment dans une bulle. L’extérieur n’existe que par la lumière qu’il procure.

Les autres pièces sont tout aussi étranges, parfois remplies, parfois vides. Comme dans toute maison bourgeoise, les pièces à usage du personnel sont étriquées, petites, peu fonctionnelless. Un deuxième salon semble avoir été un boudoir, une autre pièce comporte une imposante cheminée dont les linteaux en bois sont travaillés avec précisions.

De retour dans le hall et montant au premier étage, je fais une pause dans l’escalier. Les motifs du marbre ou de son imitation sur les murs m’interpelle. En réalité, ceux-ci ont été faits à la main ! Travail d’orfèvre et couronné de patience. La majorité des murs du Manoir sont ainsi.

Les chambres apparaissent également généreuses en espace et en lumière. Dans chacune d’entre elles, les lits, aujourd’hui disparus, sont installés dans un petit renfoncement. Ainsi, une sorte d’alcôve protège le dormeur et offre la place restante de la pièce pour vivre, lire, s’habiller… Tout d’un coup, cela me paraît être une idée formidable et pourtant simple.

Sur une cheminée, dans une armoire, dans la salle de bains… Peu d’affaires personnelles témoignent d’une vie passée. Nous n’en saurons pas plus sur ce Manoir et ses habitants. Du moins, dans l’instant de l’exploration.

Pour le reste de l’étage, deux salles de bains immenses me font envie, malgré leur état bien dégradé. Baignoire infinie, miroirs intacts, douches larges… Je me vois facilement y passer des heures.

Il me reste un dernier étage, celui des domestiques, à explorer. Mais l’accès en est risqué. L’échelle ne m’inspire rien, le plancher de ces logements aussi. Puis finalement, avec de l’aide, je monte. Avec difficulté, mais j’y parviens. Chambres, salons, salles de bains, couloir, tout est si étroit, si petit. L’ensemble est à l’exact inverse de la tente magique dans Harry Potter. Immense à l’extérieur, minuscule à l’intérieur… On loge son personnel comme on le traite. Mal.

Redescendu de ces hauteurs insolites et fragiles, nous explorons l’opposé complet, à savoir les caves. La première partie consiste en une petite salle à manger pourvue d’une cuisine sommaire. Des couverts sont encore sur la table. Mais ils ne résistent pas à un examen approfondi. En plastique, ceux-ci ne sont qu’une piètre mise en scène de précédents explorateurs. L’intérêt m’en échappe, d’autant plus que nous retrouvons le sac à pique-nique tout neuf dans un placard à proximité. Je ne comprends pas, j’essaie pourtant.

Les profondeurs suivantes, immenses, nous engloutissent dans leur pénombre et leur fraîcheur, bienvenue par cette chaleur. Près de trois mètres sous plafond, un sol en terre battue, des murs de briques… J’en suis béat, comme si un autre bâtiment existait au cœur même du premier. Pendant quelques minutes, je m’essaie à des expérimentations photographiques en basse lumière, mais rien de concluant n’en ressortira.

Nous déjeunons près de la cheminée. L’endroit devient, pour un instant seulement, rien qu’à nous. Anecdotes, histoires, hypothèses sur le lieu s’échangent, s’échafaudent… Mais déjà nous pensons à la suite. Cependant, je sais bien que l’excitation de la recherche d’information pointe le bout de son nez.

Un peu d'histoire

1947. Le parc du manoir apparaît bien entretenu et assez grand. Il est en tout cas habité.

J’ai beau chercher, je ne trouve rien… Cela pourrait être les paroles d’une chanson, mais non, c’est la triste réalité de mes recherches concernant le Manoir Tønder.Il faut dire qu’un château voisin relativement proche occulte ce beau spécimen. Quelque traces administratives et juridiques m’apprennent deux trois choses, mais rien de bien intéressant au final.

Quand aux photographies aériennes de l’IGN, celles-ci ne révèlent un Manoir abandonné que vers le milieu des années 2010. Le parc du Manoir reste entretenu pendant plusieurs décennies et des voitures sont régulièrement garées devant la bâtisse.

1948.
Pour une fois, la photo aérienne présente un angle intéressant. Le Manoir se révèle un peu plus.
1964
1976
1994
2009

Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que le Manoir Tønder sera abandonné. Respectons-le pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).