Usine Tokarnia (05/2022)

Usine Tokarnia

Après quelques heures de route, Tim et moi arrivons sur place à proximité de l’usine Tokarnia. Il s’est chargé des repérages et du choix des lieux, nos plans ayant changés plusieurs fois. Équipés, nous chercheons un passage pour entrer sur les lieux. La proximité des maisons voisines nous force à la discrétion et la rapidité. Mais après avoir enjambé un grillage, nous voici enfin entrés.
Nous devons marcher un peu avant de pouvoir rejoindre les premiers bâtiments. Arbres, arbustes et mousses envahissent les lieux sans retenue ni intervention humaine. Nous distinguons maintenant un transformateur puis ensuite diverses constructions. Comme je suis affamé, nous optons pour manger en premier.

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Après un repas apaisant dans le calme absolu des lieux, nous revenons sur nos pas et commençons notre exploration par les premiers bâtiments aperçus qui semblent plutôt administratifs à première vue. Sur la vue aérienne, pour vous repérer, il s’agit de ceux aux toits gris et rouillés (à gauche). Notre chemin d’arrivée est bien visible en haut à gauche du cliché.

Premiers pas donc, dans ces bureaux, et première impression étrange, je marche sur innombrables petites pièces métalliques. Boucles de ceintures, petits anneaux en métal, rondelles et autres formes étranges. Cela confirme ce que Tim m’apprenait de l’usine : petite métallurgie de précision. Les premières pièces que nous explorons sont bien abîmées et défigurées par de gros tags en couleurs. Malgré tout, de nombreux objets d’origine sont encore présents. Nous nous séparons, chacun accaparé par ses photos, au rythme de nos pas devenus sonores.

J’observe attentivement, je capte les sons, les détails, les anachronismes, je fouille, j’explore déjà excité par l’immensité de l’usine Tokarnia. Là, un coffre-fort scellé dans les murs, un vieux combiné téléphonique , une antique photocopieuse de bureau… Et partout, absolument partout ces pièces métalliques, ces présentoirs de modèles de boucles de ceintures ou de bouton.

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Entrant dans la pièce suivante, je remarque tout de suite une machine imposante. Faite de gros rouleaux en métal, avec plein de poignées et roues, elle me rappelle instantanément la ronéotype de mon école élémentaire dans les années 90. Avec son bruit particulier et sa forte odeur d’alcool, son souvenir s’est ancré profondément dans ma mémoire. Tout excité, je vérifie si elle fonctionne. Les rouleaux tournent encore ! Une feuille y est d’ailleurs encore coincée. L’appareil m’indique néanmoins la date approximative d’abandon des lieux.

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Je ne cesserai jamais d’être étonné de trouver des éléments d’origine dans un lieu abandonné. Souvent pillés et en très mauvais, ces usines, ces châteaux, ces maisons restent dans un entre-deux.
Tomber sur une facture, un ordinateur ou d’autres éléments témoignant des grandes heures du lieu visité reste néanmoins exceptionnel. Cela nourrit l’imagination, facilite la recherche historique et patrimoniale. Avec cette “ronéo”, l’usine Tokarnia m’apparaît plus vivante, plus présente. Et je pense aux ouvriers, cadres et secrétaires qui y travaillèrent. Que diraient-ils si il voyait leur lieu de travail dans son état en 2022 ? Je me perds un peu dans les pièces suivantes tant le bloc administratif est un labyrinthe.

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Bientôt les espaces deviennent plus larges, plus hauts et plus imposants. Il me semble explorer les espaces de stockage et de rangements. Dans une grande pièce, j’aperçois un meuble assez bas, ne dépassant pas les deux mètres de hauteur. Des souvenirs cinématographiques, vidéoludiques ou photographiques affluent : le magasin de baguettes magiques dans Harry Potter, le cabinet royal de lecture du Portugal ou encore Uncharted A Thief’s End (scène dans l’immense bibliothèque). Sans oublier leurs personnages sachant préciser localiser un objet ou un livre dans ce bazar organisé.
De nombreuses cases étiquetées de chiffres patientent vides. Des restes de rubans textiles pendant ça et là, et m’évoquent des articles de mercerie. Dans un coin, encore un tas de boutons et de boucles de ceintures… Les pilleurs ou précédent “visiteurs” ne semblaient pas intéressés.

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Je termine l’exploration des bâtiments administratifs, et également de stockage. Dans une autre pièce de rangement, un meuble gît au sol, comme épuisé d’avoir tenu si longtemps debout. Et au fond, je remarque la quintessence de l’exploration urbaine. Une pièce remplie de papiers, d’archives, de machines à écrire dans laquelle poussent de jeunes noisetiers. L’image est idéale. J’y passe de longues minutes à fouiller, photographier, enquêter.  En fait, il s’agit du quai de chargement et de la partie expédition de l’usine Tokarnia. L’ambiance est superbe.  Je tombe sur une fiche de travail demandant à l’employé de noter sa cadence de fabrication et heures effectuées puis sur un bon de livraison de 1972.
Dernière pièce. Je ne parviens pas à en saisir la fonction. D’un côté, des fours ou coffre-forts avec aérations, de l’autre une simple table accompagnée d’un petit meuble de stockage.

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Laissant Tim à ses gros plans, je sors du bloc administratif et passe dans une partie plus technique. La proximité d’un lac et d’un déversoir produit un grondement. Mais impossible de l’apercevoir, la végétation est trop touffue. Les espaces explorés n’ont guère d’intérêt tant ils ne sont que de grands entrepôts, hangars ou garages vides. En bordure de la propriété, une ancienne grange attire finalement l’œil par sa charpente. Son utilité, par contre, m’échappe. Le tour en est vite fait. Quelques clichés.

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Lors d’une petite pause, je vois que la batterie de mon réflex clignote et cherche la deuxième. Introuvable ! Comme un bleu je suis parti sans. J’enrage, vitupère et me sermonne. Une fois la colère passée, je termine l’exploration de ces hangars au smartphone. Dans l’un deux, je remarque un ensemble étrange de tambours à manivelles. Intrigué, je cogite puis pense immédiatement à des trieur à tambours rotatifs. Ils devaient servir à séparer les boutons par tailles.

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Revenus à notre point d’entrée, nous laissons à notre droite toute la partie déjà explorée (bureaux, stockage, hangars et entrepôts). Nous partons à gauche et pénétrons dans une nouvelle partie technique. Mais celle-ci semble différente. J’aperçois au sol les moules des boutons, boucles de ceintures et autres petites pièces. Des sanitaires nous mènent ensuite dans un grand hangar dont le plafond culmine à trois ou quatre mètres. Plus grand que tous les autres espaces, une sorte de rail le parcourt en long, avec au fond une grande roue métallique. Elle devait accueillir autrefois une grand courroie de transmission et faire fonctionner ce grand rail. En effet, j’apercevrais plus tard de vieux wagonnets dans un coin de l’usine. De belles arches ornent le bâtiment et deux faux plafonds détruits révèlent par moment la verrière faîtière.
Mon appareil ayant repris miraculeusement une barre de batterie, je le remets à contribution et photographie frénétiquement avant qu’ilne me lâche complètement. Tim et moi échangeons sur l’absurdité de ces plafonds artificiels. Masquant totalement la beauté architectural du bâtiment. Avaient-ils une fonction acoustique ou technique ? Étrange.

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J’ai perdu toute notion du temps lorsque nous pénétrons dans les derniers espaces de l’usine et retrouvons les pièces parcourues en cherchant un lieu pour manger.
La première, aux murs de  moellons, semble émerger d’un tout autre siècle. Comme si nous étions enfin au sein des murs originels. Au fond de la pièce s’épanouit une forge avec son foyer et sa hotte caractéristiques. Point de retouches des pièces mal usinées ? Je ne parviens pas à savoir. Tout près de la forge, d’immenses étagères de stockage aux références chiffrées. Étrange ambiance mais tellement sereine, contrastant avec ce que j’imagine des heures glorieuses de l’usine. Mais l’emplacement de ce point de chaleur m’interpelle, surtout avec tant de bois à proximité. Pourquoi ici ? Je vais devoir enquêter sur l’histoire de l’usine pour trouver des réponses.
La seconde pièce, plus grande, semble aussi très vieille. La faute aux moellons sans doute. De petites étagères référencées côtoient des établis qui s’avèrent être des postes de peinture. De vieux pinceaux, encore rouge, trainent sur l’un d’eux. Sur un des étagères, je retrouve d’antiques boucles de ceintures. Le métal, rouillé, est effrité. J’ignorais que ce pouvait être le cas. On dirait vraiment un mille-feuilles. D’ici de là poussent quelques fougères, quelques jeunes arbres. L’aspect décoratif est complet. Je jubile et déclenche avant de passer au grand hangar.

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Le hangar est tellement immense que je ne m’aventure pas à le mesurer. Entièrement vide, si ce n’est quelques caisses et autres débris, la végétation l’entoure. Elle jette une ambiance lumineuse verte sur l’espace. C’est un peu mystique. Dans un coin, un établi fait face à l’extérieur. J’aime cette disposition, imaginant l’ouvrier regardant vers le lointain, en vérité, le lac. Au fond, contre un remblai, les ruines d’un four métallurgique. Ses dimensions témoignent d’une certain cadence dans la production. Mais c’est étrange, après avoir parcouru l’entièreté du site, je n’imaginais l’espace de fonderie ici. Les moules sont de l’autre côté et les métalliques survivantes dans les bureaux. Bref, je m’interroge et deviendrai presque impatient de rentrer pour enquêter sur l’histoire de l’usine Tokarnia.

Nous repartons à l’opposé du site, plus éloigné des habitations, pour faire nos prises de vues au drone. Possédant le mien que depuis quelques heures, je tente, j’essaie, me trompe, repart de l’autre côté, apprends beaucoup aux côtés de Tim. C’est un essai mais j’apprécie prendre de la hauteur pour apprécier l’ensemble de l’usine. C’est magique !

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Nous repartons, pour ma part heureux et exténué. Cette exploration était exceptionnelle et méritera très certainement une deuxième visite dès que possible. Il est toujours appréciable de revenir pour voir différemment les lieux. Un grand merci à Tim pour avoir conduit. Je vous laisse avec les vues aériennes.

Petite vidéo sans prétention réalisée sur place à l’aide de mon drone Marie-Lima (oui c’est une fille et je donne un nom à tous mes appareils). Avec à peine une heure de vol, je ne suis pas encore assez audacieux mais ça viendra. Soyez patients.

Montage – DaVinci Resolve
Musique – Emily A. Sprague

A lire

• Le récit de Glauque Land

Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que l’usine Tokarnia sera abandonnée. Respectons-la pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).

Toutes les photos de la visite

Urbex - Usine Tokarnia