Oradour-sur-Glane, la mémoire nécessaire

Série de photographies et de textes inspirés par le village martyr d’Oradour-sur-Glane (87), dont les 643 victimes ont été assassinées par les membres de la Division SS Das Reich le 10 juin 1944. Pour en savoir plus

Depuis plusieurs années déjà, je veux y retourner. Revoir ce lieu, revivre ou ressentir à nouveau ce que j’y avais vécu lors de ma première visite.
Maintes fois, ce fut reporté. Le matin même, je n’étais sûr de rien non plus. Détour trop long, météo assez capricieuse, la progéniture qui s’impatiente d’arriver enfin à destination. L’ensemble des forces planétaires semblent s’allier contre mon envie.

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Puis finalement, je prends la décision de m’y arrêter. Ce n’est plus si loin et je ne veux plus retarder l’instant. Je me doute bien que se sera trop court, mais tant pis. Je préfère ça à un nouveau report.

Une fois garé et équipé, je file à l’entrée du Centre de la Mémoire et me dirige vers l’entrée du village martyr d’Oradour-sur-Glane. Juste devant les marches, j’entends, parmi le brouhaha des visiteurs, la litanie du nom des victimes, diffusée par les hauts-parleurs. Une poignante entrée en matière.

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Après quelques pas, je ne m’y retrouve plus. Ma mémoire a transformé au fil des ans la géographie des lieux. Continuant d’avancer, les ruines m’apparaissent alors solides et fières comme un défi au monde et à la barbarie. Je reconstitue facilement l’aspect passé de la ville avant l’ignominie. Les boutiques, les rideaux aux fenêtres, les jardins, les rues animées… Mais mon imaginaire est stoppé dans son élan par un touriste en casquette et tongs. Un autre groupe, derrière lui, prend des selfies.

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Suis-je plutôt choqué ou énervé par cet attitude ? Je ne sais pas trop, mais je prends cela comme un manque de respect au lieu et aux victimes. Toujours l’on m’a appris à me découvrir dans les lieux de recueillement, à être silencieux et ainsi de porter attention à ce qui m’entoure. Je continue néanmoins ma déambulation, tout en essayant d’ignorer ces groupes farfelus. Certains visiteurs se démarquent du lot. Un père explique l’histoire d’Oradour à sa fille adolescente, un couple s’attarde calmement devant une ancienne boutique, un grand-père accompagne son petit-fils vers le martyrium… Mais ces exemples restent l’exception.

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Je photographie ce qui attire mon regard, je cadre volontairement sans les visiteurs pour mieux montrer les ruines, je m’arrête devant un des garages et pose ma main sur le chambranle de la porte. Comme si je pouvais y sentir les vies, les âmes et l’horreur que connurent ces murs. Bien évidemment, je n’ai ressenti. Que le froid de la pierre.

Il ne reste que les murs de granit, tant l’incendie a ravagé le reste : toits, portes, fenêtres et mobilier. Quelques amas de ferraille tordus se recroquevillent dans les recoins. Restes défigurés d’une voiture, d’une machine à coudre, d’un ustensile. Seuls traces de vies échappées du massacre.

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Les nuages bas et gris annoncent quelques ondées pour l’après-midi, mais pour l’instant ça tient. Tout en avançant sur les rails du tramway, je m’étonne du nombre de visiteurs présents. Sont-ils venus spécifiquement pour Oradour ou parce qu’ils passaient dans le coin ? Les couleurs parfois criardes de leurs vêtements jurent avec celles des maisons, de la ferraille et de la météo. Nous sommes en fait qu’un anachronisme en ce lieu.

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Les rails du tramway me ramènent à un vieux souvenir, un peu flou, un peu désordonné qui traîne au fond de ma mémoire. À douze ou treize ans, lors d’une colonie de vacances pas loin de Limoges, nous rencontrons un soir une survivante du massacre d’Oradour. Arrivée par le tramway pendant le crime des SS, elle fut retenue en otage. Ému par son récit, j’avais eu le courage de lui poser une question, dont la teneur m’échappe aujourd’hui. À la lecture des ouvrages de Robert Pike et de Nicolas Bernard, je réalise avec deux décennies de retard, que cette dame était Camille Senon.

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Petit à petit, je suis arrivé près de la gare de tramway. Elle fut l’un des point centraux d’Oradour et son ouverture sur la région. Le Limousin, situé en partie dans la diagonale du vide, était et est encore une région assez peu peuplée. Mais avec cette ligne, Oradour était connectée à Limoges.

Devant le petit bâtiment de la gare, je lève les yeux vers l’inscription. Dans un tour de main du destin, l’incendie qui ravage le village martyr après le passage des SS ne laisse sur la gare que les lettres « ORAGE ».

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Je m’enfonce maintenant au cœur du village martyr. Les ruines sont plus denses, mais aussi plus parsemées parfois. L’ampleur du massacre et de l’incendie se ressent clairement dans les rues et ruelles. Ici, un garage, là une boulangerie, là-bas un bar. Le centre de la ville regorge de commerces. Deux boulangeries peuvent se côtoyer à quelques mètres de distance, choses devenues trop rares de nos jours.

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Je m’apprête à entrer dans l’église d’Oradour, mais d’un coup j’hésite. Ayant lu et relu de nombreux ouvrages sur le massacre, ce lieu de mise à mort m’effraie. Me paralyse en quelque sorte. Le 10 juin 1944, les SS de la division Das Reich y ont enfermé femmes et enfants avant d’y mettre le feu. 350 personnes y sont assassinées.

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Finalement, j’entre et suis aussitôt frappé par l’étroitesse du lieu. Comment 350 personnes ont pu y tenir ? La mise à mort de ces femmes et enfants prend alors une tournure plus cruelle. Adossé contre un mur, je regarde les hautes fenêtres et pense à Marguerite Rouffranche. Parvenant à atteindre l’une de ces ouvertures, elle chuta de trois mètres puis fut blessée de cinq balles alors qu’elle s’enfuyait.

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Mes déambulations et mes prises de vues se terminent. Je me sais être attendu, alors il est temps de rebrousser chemin. J’aurais aimé prendre mon temps et ainsi mieux confronter mes lectures au terrain, penser plus mes clichés. Je reviendrai.

Une des maisons en ruine près de la sortie se cache sous un échafaudage. Une bâche y est posée et appelle aux dons pour restaurer Oradour. Effectivement, avec le temps qui érode la pierre, maintenir ce lieu de mémoire debout est primordial. Mais si un appel est fait aux particuliers, qu’en est-il de l’argent public ?

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Un tel lieu de mémoire, témoin de la barbarie nazie, devrait pouvoir être sauvegardé entièrement avec l’argent public. Tant la mission de transmission, de mémoire, de partage est nécessaire. Pourquoi ? Pour apprendre et éviter de recommencer. Winston Churchill disait à juste titre qu’un « peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ».

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Cela m’amène à une réflexion, mais avant de la formuler, précisons néanmoins que je ne suis ni un universitaire aux méthodes scientifiques, ni un analyste expérimenté. Il s’agit de mon simple regard.

Lors des élections européennes et des législatives anticipées de 2024, la ville d’Oradour-sur-Glane (nouveau bourg) porte l’extrême-droite à 35.97% pour les premières et à 45.95% pour les secondes. Comment cela est-ce possible ?

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La division SS Das Reich s’étant rendu coupable du massacre du 10 juin 1944 était fille du nazisme, idéologie d’extrême-droite. 80 ans plus tard, pratiquement jour pour jour, le score local du parti politique français d’extrême-droite s’avère exorbitant. La boucle est-elle en train de se refermer ? Comment une ville dont l’histoire est malheureusement intimement liée à ce massacre, quintessence de la destruction arbitraire et à la haine de l’autre, peut conférer ces scores au Rassemblement National ? Depuis j’essaie de comprendre.

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Sans doute cela ne me sera-t-il jamais possible. Passionné d’Histoire depuis toujours, je me documente beaucoup sur la Seconde guerre mondiale qui a tant façonné le monde et celui de 2024 en est indubitablement le fruit. Cet intérêt pour la chose historique a créé une prise de conscience. Plus jamais ça, évitons de réitérer les erreurs du passé.

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Mais ces scores électoraux à Oradour ne cesser de m’interroger. N’avons-nous pas compris ? Le message est-il bien passé ? Ces heures de médiation, de rencontres, de visites, de lectures, de conférences, d’expositions, d’ateliers, d’échanges, n’ont-elles finalement servit à rien ? Comment en sommes-nous arrivés là ?

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