Hôtel Stendhal (06/2022)
Je suis passé devant cet hôtel un nombre incalculable de fois en trente-cinq ans. Seul ou en famille, à vélo ou en voiture… Et les grands panneaux qui indiquaient les entrées et les services proposés m’attiraient. Mais jamais, au grand jamais, je ne m’y suis rendu en personne. Impossible de savoir vraiment pourquoi. Alors quand Tim et moi préparions notre road-trip, j’ai ajouté l’hôtel à la liste des lieux à repérer.
Il y a plusieurs types d’exploration : celles qui sont sûres, en quelque sorte, car on sait qu’on y entrera, celles dont on ne sait rien mais qu’on va voir tout de même et enfin celles qui sont connues, repérées mais dont l’état final reste un mystère.
L’hôtel Stendhal entre dans cette dernière catégorie. Isolé des routes de la région par une petite forêt, il se niche à flanc de colline, invisible. Les images satellites sont trop vieilles et trop peu précises pour en savoir plus. Seuls les panneaux mentionnés plus haut m’indiquaient un possible abandon. Ces derniers temps, ils se couvraient de vert, tombaient en lambeaux.
L’après-midi est déjà bien avancé quand nous nous garons en bordure de la ville. Mais j’évalue mal les distances et nous voilà donc partis pour vingt minutes de marches sous le cagnard. Barrière ouverte, petit chemin forestier sous les frondaisons… nous approchons. Je stresse un peu de tomber sur l’hôtel en pleine activité et me dit que nous aurions l’air bien bêtes arnachés comme nous sommes. Mais finalement, le lieu est bien abandonné. Ouf !
Excité comme une puce de pouvoir enfin mettre la main sur l’hôtel Stendhal, je cherche une entrée. Ce sera facile et rapide, nous entrons dans la discothèque de l’hôtel. Ayant laissé ma lampe torche dans la voiture, je m’éclaire au portable. L’espace est restreint mais semblait suffire. Un bordel monstre encombre les lieux, qui trop sombres, ne donneraient rien en photo. Nous montons à l’étage pour nous retrouver à l’accueil.
D’emblée, je remarque quelque chose d’étrange. Nous marchons sur une sorte de sol mou dans lequel nous nous enfonçons de quelques millimètres. Les objets tombés au sol semblent s’y incruster. En fait, le faux-plafond de laine de verre est tombé. Je marche sur le plafond.
Les espaces publics, larges et vitrés, sont encombrés de restes de tables, sièges, canapés, luminaires… Quelques inscriptions ornent les murs ici et là. Loin des voitures, nous sommes au calme et explorons à notre guise, simplement accompagnés par le chant des oiseaux ou des grillons.
Bientôt je remarque que les couleurs dominantes de la décoration tournent vers le noir et le rouge. Il en est de même pour la façade extérieure, mosaïque de ces deux teintes. C’est alors que je décide de nommer fictivement ce lieu, l’hôtel Stendhal.
Sortant de ce clair obscur de la réception, je passe maintenant dans des pièces plus administratives. Et je tombe d’ailleurs sur quelques documents : factures, comptes-rendus financiers, carnets de commande… J’y trouve de précieuses informations pour la partie historique de ce récit. Je garde les plus précieuses en tête. Qui sait ? Un jour je pourrais peut-être en dire beaucoup plus sur l’hôtel. Pour le moment, je parviens à dater l’abandon entre 2012 et 2015. La raison m’échappe encore.
Un jour, je me le promets, je prends le temps nécessaire pour fouiller l’intégralité des archives lors d’une exploration. Je noterai et photographierai tout ce que je peux. Sans doute, qu’ainsi, le lieu sera sauvé de l’oubli. Tout comme les vies et les histoires qui s’y déroulèrent.
Pour garder une sorte de cohérence dans mes déambulations, je termine d’explorer le rez-de-chaussée. Il me restait la cuisine. Je m’y engage. Des appareils de cuisson, de conservation, de stockage résistent tant bien que mal au temps qui passe et aux visiteurs plus ou moins bien intentionnés. Peinture craquelée, puits de lumière aux vitres cassées, restes de graisse au sol… L’ambiance “urbex” est totale.
Dans le fond, je découvre une pièce bleue, dédiée au stockage. Les étagères s’affaissent bien qu’elles soient vides. Quelques restes de vaisselle. En un rien de temps, j’imagine le chef crier ses ordres, les commis s’affairer au-dessus d’une casserole, un serveur chercher une assiette…
Comment l’Homme peut-il ainsi construire un lieu, y vivre puis l’abandonner ? Il y a forcément quelque part un propriétaire, un ayant-droit, un notaire qui a connaissance de l’état de l’hôtel Stendhal. Que fait-il ? Y pense-t-il ? Je suis à la fois attristé par l’oubli dont est victime l’hôtel et ravi que la nature y reprennent sa place.
Nous passons maintenant à l’étage. C’est sans doute idiot mais dans un lieu abandonné, j’aime que mon camarade d’exploration soit dans les environs proches. Au cas où… Mais j’aime tout autant être seul quelques instants, dans ma bulle.
Dans les escaliers, de hautes baies vitrées permettent l’éclairage des marches et recoins. L’ambiance est plutôt verte, étant donné qu’un pin pousse tout contre la colonne.
Une fois au premier étage, nous explorons quelques chambres avant de reprendre nos clichés. Vidées de leurs lits et mobiliers, leurs fenêtres sont pratiquement toutes ouvertes ou cassées. Ces chambres sont, normal pour un hôtel, construites sur le même modèle. Sanitaires à gauche, meuble télé sur la droite et grand lit au fond à gauche. La situation de l’hôtel devait en faire un lieu recherché. Chaque chambre donne sur la forêt et les arbres.
Bien évidemment, il y a déjà eu du passage et du pillage. Tout est parti. Mais je retrouverai dehors dans un coin, entre deux bosquets, les lits et meubles télé.
Le couloir est encombré de sièges, d’éléments du plafond ou d’électricité, certains pièces sont taguées, d’autres simplement vides. Seule l’une d’entre elle comporte un lit et une couverture. Restes d’un squat ?
Les deux autres étages se ressemblent mais nous passons tout de même dans chaque pièce, ouvrant les portes pour éclairer notre progression. Par une des chambre, j’aperçois la piscine dont l’eau brunie ajoute à l’ambiance d’abandon.
Une fois l’ensemble des étages et des chambres explorés, nous arrivons sur le toit. Rien de particulier, si ce n’est de voir l’envers du décors et l’enseigne “Hôtel”. Elle devait être visible depuis la route.
Maintenant, nous redescendons pour faire plus tranquillement le tour de l’hôtel et aller voir la piscine. Les herbes sont hautes, les ronces et les tiques rôdent surement. Ayant déjà mis le pied dans un ruisseau et les orties le matin même, j’avance avec une démarche bien idiote mais utile. Les bras en l’air pour éviter les griffures et les pieds qui tâtent le sol devant moi.
La piscine, dont l’eau hésite le marron et le vert, est devenue le réceptacle de sièges, arbres, et autres “pièces” de l’hôtel. Des grenouilles verts s’y ébattent et croassent joyeusement, sans crainte de l’Homme. Leur chant nous guide lorsque nous explorons la petite buvette attenante. Tim s’y attarde sur quelques détails alors que je m’installe et sors le drone.
Alors que Marie-Lima vole, heureuse de se dégourdir les ailes, je vois enfin l’hôtel Stendhal dans son ensemble. Je ne peux monter très haut ni m’éloigner sans difficulté, une ligne électrique haute-tension passe à proximité. Mais je saisis enfin le havre de paix que ce devait être., à l’écart de tout et sans vis-à-vis. L’hôtel existe d’ailleurs toujours sur de célèbres comparateurs en ligne. Peut-être des nostalgiques ont-il souhaité le préserver ainsi de l’abandon ?
Je fais atterrir mon drone pendant que Tim prépare le sien. Il vaut toujours mieux éviter d’en connecter deux (modèles identiques) à proximité. Lors de notre passage à l’Usine Tokarnia, alors qu’il allumait sa télécommande, j’avais perdu le contrôle de Marie-Lima. Je pars donc finir mon tour de l’hôtel à pied. Je tombe sur un vide-grenier express devant l’entrée de l’espace discothèque. Soit il fut laissé par des gens du coin, soit il vient du bâtiment lui-même. Je n’en sais trop rien, mais je tombe sur quelques petits trésors. Un plateau à l’illustration chinoise, un radio-réveil rétro à souhait et de la porcelaine brisée.
Je repars heureux d’avoir enfin exploré l’hôtel Stendhal tout en étant un peu déçu de ne pas l’avoir vraiment connu à son heure de gloire. J’aurais ainsi pu faire la comparaison. En tout cas, cher hôtel, merci pour ces heures hors du monde, de la folie et de l’angoisse que génère les hommes.
Pour la petite histoire
La société gérant l’hôtel Stendhal est fondée dans les premiers mois de l’année 1979. Une seule et même famille semble alors en âtre propriétaire. De ce que j’ai pu trouver, le fils reprendra l’affaire de son grand-père. La liquidation judiciaire intervient quant à elle à l’été 2016. L’hôtel Stendhal aura donc accueillit ses clients pendant près de 37 ans. Si un ancien client ou employé tombe sur cette passage, je serai ravi de raconter son histoire (anonyme bien sûr). Ce serait une extraordinaire conclusion.
1971. L’emplacement de l’hôtel Stendhal existe mais aucune route ni construction n’est visible. Pas étonnant pour la région, encore très rurale à cette époque.
1978. Près de dix ans plus tard, la route est bien créée mais l’hôtel répond toujours absent. La société est fondée un an plus tard.
1982. Enfin ! L’hôtel Stendhal est là, avec son terrain de tennis et une maison à l’écart. Celle du propriétaire et de sa famille sans doute.
1995. Les heures de gloire de l’hôtel, sans aucun doute possible. Une piscine est rajoutée au sud. L’emplacement reste bien isolé conférant ce calme recherché.
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Ne cherchez pas d’infos de localisation ou une partie histoire détaillée sur ce lieu, je n’en donnerai pas ni n’en publierai tant que l’Hôtel Stendhal sera abandonné. Respectons-le pour la vie qu’il accueillit jadis, pour les gens qu’y vécurent et pour son éventuelle future vie (destruction, réhabilitation…).